Michel Platini fête ses 70 ans...
Michel Platini lors des célébrations des 100 ans de la famille Agnelli, à la tête de la Juventus,
le 10 octobre 2023, à Turin. Nicolo Campo/IMAGO via Reuters Connect
Son dernier grand entretien au Figaro
22 Jun 2025 - Le Figaro Sport
Par Baptiste Desprez et Yves Thréard
GRAND ENTRETIEN - Il y a quelques mois, la légende du football français s’était longuement confiée à notre journal sur l’actualité du ballon rond et les procédures alors en cours contre lui.
(Entretien réalisé en avril 2024 et mis à jour le 25 mars 2025) « Je ne suis pas obligé de répondre à tout ? » D’entrée de jeu, Michel Platini, teint hâlé, chemise bleue estivale, imprime le tempo. Sans se départir de son sou- rire et d’un charisme qui transpire dès la poignée de main, la légende du football français teste, chambre et prend le pouls dès les premières minutes de notre rencontre. L’artiste n’a rien perdu de sa virtuosité. À chaque instant, il faut rester solide sur ses appuis devant les arabesques du mythique capitaine de l’équipe de France. Le 10 avril dernier, sur le port de Cassis, le triple Ballon d'Or (1983, 1984, 1985) avait reçu Le Figaro dans son restaurant Le bis- trot de Nino, où il passe chaque jour, lui qui vit à côté avec son épouse dans une maison « achetée il y a quarante ans ».
Pendant plus de deux heures, autour d’un saumon gravlax, de moules gratinées et d’un filet de loup lardé grillé avec crème d’ail, « Pla- toche » n’a éludé aucun su- jet. Sa vie, ses projets, ses af- faires, ses anecdotes, sa vi- sion de la société, de la politique, du football, des Bleus, Deschamps , Mbappé et Griezmann… Un entretien sans concession avec un per- sonnage aux mille vies (foot- balleur, sélectionneur, orga- nisateur de la Coupe du monde 1998, président de l’UEFA, candidat à la Fifa…) qui a marqué l’histoire de son pays, et qui fête ce same- di ses 70 ans.
LE FIGARO. - Comment allez-vous ? Michel PLATINI.
- Je vais très bien, est-ce que j’ai l’air malade ?
J’ai toujours été quelqu’un qui vivait bien, qui voit le verre plus à moitié plein qu’à moitié vide. C’est mon éducation. Je prends le temps de prendre le temps. Que faites-vous de vos journées ? Je suis à la retraite. Je fais mes affaires le matin, je vais au restaurant, je regarde le football, le rug- by et le golf à la télévision. Parfois je joue au golf, c’est une balade. Mais je ne suis pas complètement à la retraite, car j’ai pas mal d’idées et des projets. Il faut un peu de temps pour les réaliser. Je devance votre question car je connais un peu les journalistes (sourire), je ne peux rien vous dire.
Quels sont ces projets ?
Vous voyez ? (rires) Ils peuvent se réaliser bientôt. Vous considérez le football par le prisme d’un poste dans un club, une institu- tion, l’UEFA, la Fifa. Ça, c’est terminé. C’est comme le mé- dical et le paramédical. Vous avez le football et le para- football. J’ai des projets qui peuvent être utiles. Et cela entretient le besoin que j’ai de servir quelque chose qui m’a tout donné et pour le- quel je me suis passionné. Je suis né dans le football, je mourrai dans le football. Mais comme on m’a exclu de toutes mes fonctions, et que je ne veux pas y retourner, il y a des choses importantes qui ne sont pas faites ou mises en place dans le foot- ball, j’y pense.
Serez-vous acteur ? Je ne vous en dirai pas plus, si- non je vais vous dire des gé- néralités, et ce n’est pas mon genre. Je vous en parlerai peut-être un jour, car cela peut être quelque chose d’important pour le football. C’est normal de vous poser des questions… Bien sûr. Et je donne les réponses que je veux ( sourire ). À une époque, j’avais peur des journalistes, je répondais aux questions. Mais c’était à l’époque… Cela nécessite-t-il que vous vous investissiez per- sonnellement ? C’est ça, le problème. Je n’ai plus trop envie de m’investir. Ce n’est pas forcément financière- ment, mais il faut que je convainque des gens de par- ticiper à ce projet avec moi, je vais avoir 70 ans l’année prochaine.
C’est une idée à vous ?
Oui, oui ! Il y a des choses, du fond, des éléments. Qu’est-ce qui est bien pour le sport, par exemple ? En gros, le football va exploser avec la décision de la Cour euro- péenne de justice, au terme de la laquelle la Fifa et l’UE- FA n’ont plus le monopole des compétitions. Plein de choses vont se passer. La Su- per Ligue va se faire, bien sûr. Pas mal de gens qui sont intéressés par des choses me contactent. Beaucoup de gens qui n’aiment pas la Fifa et l’UEFA, qui savent que je ne les aime pas non plus, m’appellent. Est-ce une bonne chose à vos yeux que le football « explose » ? Je ne sais pas, mais c’est un fait. Il faut vivre avec son temps. C’est bien L’Équipe qui gère le Tour de France avec le groupe Amaury, pourquoi Le Figaro ne gérerait pas la Ligue des champions avec le groupe Dassault ? La mise en route de la Super Ligue est inéluctable à vos yeux ? Oui ! Tant que j’étais président de l’UEFA, c’était impossible que cela se passe, parce que j’aurais te- nu les clubs. Le rôle d’un homme à ce poste, c’est de tenir les clubs européens avec toi. Le G14 ( organisa- tion de lobbying avec les clubs les plus puissants ) vou- lait tuer le football et moi, je les ai tués. Michel Platini président a plus de poids et de pouvoir que les autres qui viennent après. Tu sais leur parler, les convaincre et ils ont confiance en toi. Alek- sander Ceferin ( actuel pré- sident de l’UEFA ), tout le monde s’en fout. Les clubs lui disent : « Combien tu nous donnes ? » Ceferin a fait un mauvais calcul, car il a changé la Ligue des cham- pions pour donner plus de matchs et d’argent, mais les clubs lui ont dit : « OK, mais c’est nous qui allons gérer, donc on va faire notre compétition. » Tous les clubs étaient pour la Super Ligue et après ils ont vu l’accueil de l’opinion publique et ils sont revenus en arrière. Le football est-il pourri par l’argent ? C’est compliqué. L’argent dans le football a beaucoup évolué au fil des temps. Sans paraître vieux combattant, à Nancy, quand je suis transféré à Saint-Étienne, je gagne 6000 francs par mois et je suis meilleur joueur français ( rires ). Je gagnais 12.000 francs, mais ils ont baissé de moitié, car je n’avais pas voulu être transféré à Va- lence deux ans avant. Ils m’avaient mis à la charte. Après, c’était toujours plus que les copains. Il faut relati- viser.
Et aujourd’hui ?
Au départ, qui étaient les plus riches ? Les pays de football, qui avaient des grands stades et faisaient des re- cettes. Après, les droits TV ont fait évoluer les choses et ceux qui en avaient le plus ont gagné de l’argent. Au- jourd’hui, ce sont les pays qui ont plein de fric et qui veulent investir. Le Qatar, l’Arabie saoudite ou d’autres pays comme les Émirats arabes unis. Le PSG avec son propriétaire n’est plus dans le même monde que Nancy. L’argent a fait évoluer les choses et le fera encore. Le fair-play financier avait été une bonne chose, dans la mesure où il fallait jouer avec l’argent que vous pou- viez générer entre vos re- cettes et votre déficit. C’était la mentalité. Maintenant, c’est différent.
Comment voyez-vous le football dans dix ans ? Un peu compliqué. La Super Ligue va débarquer, il n’y aura peut-être plus de Fifa ni d’UEFA, même si je pense qu’elles perdureront, car elles gèrent les associations nationales. En revanche, je ne vois plus la gestion des clubs dans ces institutions.
Le romantisme existe-t- il encore ? Non, il n’y en a plus. Depuis que j’ai quitté le football ( rires ). Il ne faut pas confondre romantisme et chiffre d’affaires. Aujourd’hui, c’est du business. Les joueurs sont des petites entreprises et les clubs sont des marques.
Reprendrez-vous un poste un jour ?
Non, non, non. Je ne me vois plus à un poste dans une institution, ni dans un club. J’ai fait le tour, j’ai tout fait. Je suis contacté par des gens de tous horizons. Du football et d’ailleurs, des médias, j’ai tout refusé.
Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ? La convivialité. Voir ses co- pains, jouer au golf - je perds un peu de distance sur les coups avec les années -, visi- ter un pays, passer un mo- ment entre amis, partir en vacances. J’aime bien prendre la voiture et me rendre en Italie, discrète- ment avec mon épouse. Ce sont mes racines. Le pays de mes ancêtres. Comme j’aime aller au Maroc, à l’île Maurice, dans certains pays, je m’amuse. On mange, on dis- cute, on se fait un golf, c’est mon bonheur. Je n’ai pas de responsabilité, ni de soucis financiers, je profite de la vie.
Rattrapez-vous le temps perdu ?
C’est un bonheur de faire ce que tu veux, tran- quille. Je suis libre depuis trois ans. Quel privilège. Ma vie de footballeur a com- mencé quand je suis né, mon père était entraîneur, la famille de ma mère était dans le basket. Ils ne m’ont pas éduqué pour le sport.
Que vous disent les gens que vous croisez en France ou ailleurs ? Je suis une légende. Pour les jeunes et les moins jeunes en France, je suis vu comme cela. J’ai un devoir de correction et d’exemplarité, parce que je représente quelque chose. Et pourtant, ces dernières an- nées on m’a fait ch… avec ça.
Avez-vous conscience que vous faites partie des piliers de l’histoire du football français qui ont marqué des générations ?
Tous issus de l’immigra- tion, entre vous, Kopa, Zi- dane et aujourd’hui Mbap- pé… Oui. C’est aussi pour cela que je fais un musée à Joeuf. Ce sera le projet de l’immigration et du sport po- pulaire, il faut encore que je trouve des financements. Je dois en parler avec la mi- nistre de la Culture, Rachida Dati. Je suis l’initiateur de ce projet, après avoir refusé de faire un musée Michel Plati- ni, je voulais plutôt un mu- sée sur l’immigration, le football, le sport. Plus géné- ral. Le football reste-t-il un vecteur d’intégration ? Intégration par rapport à qui ? La société française ?
Pas dans mon quartier, il n’y avait que des Italiens qui jouaient au foot à Joeuf. C’était des Ritals et des ma- caronis ( sourire ). Vous êtes une icône française… Oui, je le suis devenu, mais je suis fran- çais. Je ne suis pas italien. Je suis un Français du monde. Je suis connu dans le monde entier, les gens, je pense, m’apprécient et me res- pectent, certains m’adorent. Je ne veux rien rendre à per- sonne, mais je veux me blan- chir de toutes les fausses ac- cusations proférées à mon encontre ( dans l’affaire du paiement de 2 millions de francs suisses accordés par Sepp Blatter, alors président de la Fifa, en 2011, pour un poste de conseiller ) et Michel Platini doit être correct vis- à-vis de la jeunesse d’au- jourd’hui.
On vous sent encore touché… Moi ?
Non. Ma famille a souffert. J’ai été blan- chi en première instance et ils ( le ministère public de la Confédération helvétique et la Fifa ) ont décidé de faire appel. Je vous le dis en deux secondes, car je ne veux pas m’appesantir sur le sujet : en Suisse, la Fifa m’a donné un arriéré de salaire et la Fifa m’a mis au pénal, car elle m’a donné un arriéré de sa- laire. C’est vachement intel- ligent. En première instance, j’ai été blanchi, mais le but était de me virer des ins- tances. Ils voulaient me dé- gager et ne pas me voir ( à la tête de la fédération interna- tionale alors qu’il était pré- sident de l’UEFA ). Ils ont trouvé un salaire, sauf que j’ai payé des impôts dessus et tout était correct. Cela a mis dix ans. Dix ans ! La jus- tice médiatique a fait son boulot, puisque j’ai été déga- gé de l’UEFA. En France, j’ai le problème du déjeuner de Sarkozy à l’Élysée ( le 23 no- vembre 2010 ), la justice a cherché un pacte de corrup- tion entre l’ancien président et moi ( au sujet de son vote pour le Qatar lors de l’attri- bution de la Coupe du monde 2022 ). Il n’y aura jamais rien. Point final. Je n’ai au- cun pacte de corruption avec personne. Je ne vais pas demander à Sarkozy, moi président de l’UEFA à l’époque, pour qui je dois vo- ter ! On m’a mis en garde à vue pour répondre à des questions, je suis sorti libre et depuis, je n’ai plus de nouvelle.
Comment ressort-on de ces dix années ?
Je m’en fous, je me défends, mais la famille prend très cher. C’était compliqué. Moi, je n’ai rien à me reprocher. Je dis la vérité. Que ce soit pour l’histoire de Sarkozy et du Qatar ou pour l’affaire de la Fifa, je ne mens pas. Ils ont essayé de me tuer et ils ont réussi. J’ai été viré. Les gars de la Fifa disaient que la procédure durerait huit à neuf ans et que je serai fini professionnellement, c’est ce qu’il s’est passé. Est-ce la plus grande dé- faite de votre carrière ?
Non. Je ne le vis pas comme une défaite. Je n’étais pas certain de vouloir être pré- sident de la Fifa. C’était 50/50. J’y serai allé parce que 150 pays m’avaient donné leur engagement, mais mon épouse, mes amis n’étaient pas d’accord. C’est une vie de merde en vrai, j’ai vu celle de Blatter ( l’ancien pré- sident ), tu passes ton temps dans les avions. Après, tu as un certain pouvoir. Pour re- venir à votre question, je ne lâche rien. La contre-attaque est bien partie. Ils ont voulu vous « abattre » ? En Suisse, ils ont voulu me flinguer. En France, j’imagine qu’ils ont visé Sarkozy. Peut-être que certains ne voulaient pas que je mette mon nez dans les affaires de la Fifa… C’est tenu par la Suisse. On le saura un jour ou l’autre. Racontez-nous ce déjeu- ner avec Nicolas Sarkozy…
Quand j’ai décidé de voter pour le Qatar et la Russie ( Coupe du monde 2016) j’ai pensé que c’était bien de te- nir informé le président de la République. Comme je l’avais fait avec Chirac en 2002 pour le Maroc. Je vou- lais qu’il sache pour qui le représentant français à la Fi- fa allait voter. Quand j’ar- rive pour ce déjeuner à l’Élysée, je découvre qu’il y a le fils de l’émir du Qatar qui est là, alors que je l’avais dé- jà rencontré plusieurs fois juste avant. Je n’ai jamais compris pourquoi il était là. Peut-être que Sarko a voulu montrer qu’il supportait le Qatar. D’autant que c’est moi qui avais formellement demandé le rendez-vous avec le président, pas lui.
Complètement. Je suis un artiste ( sourire ). J’ai voté le Qatar, la Russie ou encore le Maroc, car ce sont des pays qui n’avaient jamais organi- sé la Coupe du monde. Je ne regrette rien. C’est un métier d’anticiper. Je suis pour des choses que j’estime bonne pour le football. Pourquoi le Moyen-Orient ne pourrait ja- mais recevoir le Mondial ? La Chine ? Parce qu’elle a un dictateur à sa tête ? Et le peuple chinois n’est compo- sé que de dictateurs ? En Russie, le président Poutine l’est, mais son peuple a le droit de voir du sport. Entretenez-vous des rapports avec Gianni In- fantino , président de la Fi- fa ? Plus aucun. C’est lui qui m’a envoyé au pénal. Le même qui avait dit : « Je garde la place pour Michel quand il reviendra. » Je suis revenu et il m’a mis au pé- nal. Je n’ai pas une grande confiance en lui.
Dans cette période de tumulte, certains poli- tiques ont-ils continué de vous soutenir ?
Personne. Enfin si, Emmanuel Macron m’a envoyé des messages et a été très positif avec moi. Cela m’a beaucoup touché. J’étais surpris, car en prin- cipe, c’est un monde qui ne se mouille pas, ou unique- ment quand ils ont besoin de toi. Pour l’anecdote, Ma- cron est né le jour de mon mariage, le 21 décembre 1977 ( rires ). Sarkozy m’a mis un message quand j’ai été blanchi en Suisse. Hollande à l’époque m’a laissé tomber complètement. Je ne lui en veux pas. Ma maman m’a appris la fatalité. C’est comme ça.
En tant que footballeur, sélectionneur, organisa- teur du Mondial 1998 et président de l’UEFA, vous avez côtoyé de nombreux présidents de la Répu- blique. Quels souvenirs en
gardez-vous ? De très bons, à chaque fois, ils étaient contents de me recevoir et pas là pour m’engueuler ( rires ). Je leur servais un peu de marchepieds. Ils nous uti- lisent aussi, à nous après de les utiliser aussi. C’est un jeu. C’est comme les journa- listes, c’est donnant-don- nant. Pompidou, Giscard, Mitterrand ne parlaient pas de sport, aujourd’hui, cela a un peu changé. Lequel avez-vous préféré ? Ce sont des générations différentes. Les Giscard, Mit- terrand, Chirac ne parlaient pas de football. Sarkozy, Hol- lande et Macron sont plutôt fans.
Quel regard posez-vous sur la société française ?
On est trop pris par ce que l’on reçoit comme informa- tion. Il y a un tourbillon avec les chaînes d'info, tu prends trop de choses négatives dans la figure, comme les bagarres, les faits divers… À mon époque, il y en avait dans les mines, les bals et on n’en parlait pas autant. Maintenant, cela fait le tour du monde en deux minutes. Les gamins sont très indivi- dualistes avec les réseaux sociaux, l’utilisation des por- tables. On a perdu le respect. Il y a des choses formidables comme dégueulasses. Le monde est compliqué. Mais je m’y intéresse.
Vous n’avez jamais été tenté par la politique ?
Non. Ni la religion d’ailleurs. Certains m’ont démarché à une époque, je ne vous dirai pas qui ( sourire ). Je n’ai pas besoin de la politique pour avoir du pouvoir. Mon nom et mon positionnement suf- fisaient largement pour pe- ser. J’ai rencontré beaucoup de dirigeants de ce monde.
Certains vous ont-ils marqué ?
Faire un tête-à-tête avec Vladimir Poutine, ce n’est pas rien. J’ai aussi rencontré Merkel, Arafat, Netanyahou, Zelensky… Il était M. Loyal dans un anni- versaire d’un membre du comité exécutif de la Fifa. C’était un saltimbanque. Tu ne penses pas une seconde qu’il deviendra leader de l’Ukraine. J’ai vu, sur qua- rante ans, tous les dirigeants des pays de l’Est qui avaient des posters de moi dans leur chambre. Là, tu prends un coup de vieux. Ces diri- geants ne recevaient pas le président de l’UEFA, mais Michel Platini le footballeur. Plutôt, ils recevaient le pré- sident de l’UEFA, mais fai- saient la photo avec Michel Platini ( sourire ). J’ai profité de mon statut pour faire avancer les choses.
Vous avez quand même, depuis toujours, la mentalité du leader, du chef… Je ne l’ai pas, mais je suis deve- nu chef. En 1984, avec les Bleus, je n’ai jamais fait l’équipe ou insister pour un joueur. Jamais. Après, vu mon expérience, le fait que je marquais des buts, on se réunissait avec « Gigi » (Alain Giresse ) et Bossis ( Maxime) pour établir une stratégie, car on connaissait nos adversaires. Plus que Michel (Hidalgo, le sélectionneur), car j’avais une struc- ture italienne, lui était plus romantique. Nous étions plus terre à terre. Je suis de- venu terre à terre, au bon sens du terme, avec mes an- nées en Italie.
Prenez-vous le temps de vous retrouver avec les héros de 1984 ? C’est trop rare. On s’est vus à l’enterrement de Michel Hidalgo. Loin des yeux, loin du coeur. Quand on s’appelle, on est content de se revoir. Chacun fait sa vie. Ils ont changé de femme, de ville…
Que vous inspire l’équipe de France de Didier Deschamps ?
Si Deschamps a voulu rester avec la sélection et prolonger son contrat (jusqu’en 2026), c’est qu’elle est bonne. Il a du ma- tériel et une sacrée génération en place. Aujourd’hui, diriger l’équipe de France est plus facile. Je ne suis pas fasciné par les entraîneurs. Un bon coach, c’est celui qui a des bons joueurs.
Si on vous écoute, Deschamps ou un autre en Bleu, il y aurait eu les mêmes résultats ? Je ne dis pas cela. Pas comme ça. Mais je pense que c’est plus facile pour Didier Deschamps d’entraîner et de gagner avec l’équipe de France que la sélection de San Marin.
Que vous inspire sa longévité depuis 2012 ? Il fait très bien les choses. C’est parfait. Zinédine ( Zidane ), s’il reprend le poste après lui, le fera très bien aussi. Et vous, avec cette équipe-là, vous feriez très bien aussi ( rires ).
Quelle relation avezvous avec Zidane ? On se voit de temps en temps. J’ai toujours beaucoup aimé Zi- zou qui est différent, introverti. Il ne parle pas pour dire des conneries. Lui comme Deschamps ont une très bonne communication.
On vous sent sur la retenue concernant Deschamps… Je ne le vois pas souvent, de temps en temps à une cérémonie, on se dit bonjour, on discute. Nos rapports sont bons.
Pour quel joueur allu- mez-vous la télévision ?
Mauvaise question.
On va vous donner des noms… Mauvaise liste (rires). On a eu dix ans de Ronaldo-Messi et mainte- nant on va avoir Mbappé-Haaland. Je crois plus en Mbappé qu’en Haaland. Il est très talentueux, va très vite, est efficace et devant le but, il excelle. Même s’il en rate, parce qu’il va trop vite. Ce n’est pas lui qui va réga- ler au milieu de terrain.
Que vous inspire Kylian Mbappé en tant qu’homme?
Je ne le connais pas. Je vais vous dire une chose, je ne l’ai jamais vu jouer en vrai dans un stade. Je connais un peu son père que j’ai ren- contré avec le Variétés Foot- ball Club. Tout ce qu’il fait, il le fait bien. Il est intelligent, il sait ce qu’il doit dire, ce qu’il doit faire. Kylian Mbap- pé est une entreprise avec toute une structure autour de lui, mais comme beau- coup de joueurs aujourd’hui. Ce n’est pas le seul. Tous les grands sportifs de haut ni- veau le sont.
Est-ce qu’il vous impressionne?
Personne ne peut m’impressionner. Il gère très bien ses moments de forme, de méforme.
Kylian Mbappé est aussi connu pour ses prises de position (l’interview a été réalisée avant sa sortie médiatique et sa fracture du nez ). Un sportif doit-il s’exprimer sur des sujets de société ? Oui. C’est un citoyen et il a le droit de s’exprimer. En dehors de Mbappé, quel joueur appréciezvous en équipe de France ?
J’aime beaucoup Griezmann. Beaucoup. Je l’ai trouvé ma- gnifique au Qatar quand il a changé de répertoire et s’est mis au service de l’équipe de France. Il a dû gérer l’arri- vée de Mbappé ces der- nières années, Giroud ou Benzema devant, mais ce garçon est toujours dans l’al- truisme, les autres avant lui. Il est intelligent, doté d’une vraie classe. Bravo M. Griez- mann.
Gardez-vous un regard d’enfant sur le football aujourd’hui ?
Non, cela a trop changé. C’est du business et plus du football. Quand je jouais, c’était encore du foot. La popularité mondiale de ce sport a fait arriver le business. Quand il est là, ceux qui aiment le business ar- rivent aussi. C’est inévitable.
Prenez-vous plaisir à l’observer?
Oui, c’est le joueur qui m’intéresse. Je le regarde comme un suppor- teur et un amoureux du jeu. Le résultat, je m’en fiche, je me focalise sur le geste, le joueur qui fait de belles choses au bon moment. Pourquoi les numéros 10 comme vous sont-ils en voie d’extinction ? Parce que les entraîneurs ont déci- dé de ne plus en mettre. Ce sont eux qui font évoluer le football. Lionel Messi est le dernier milieu de terrain un peu à l’ancienne comme on dit, et ils l’ont même mis sur le côté. Ronaldinho et Zidane ont été mis sur le côté. Si je jouais aujourd’hui, on me mettrait sur un côté aus- si. Le football n’appartient plus aux joueurs mais aux entraîneurs. Attention, cela joue beaucoup mieux qu’à notre époque. Les matchs sont de meilleure qualité. Il n’y a plus de coups. Mais le meilleur gagne, il y a moins de suspense. C’est l’évolution.
Vous aimeriez évoluer avec quel entraîneur et dans quelle équipe aujourd’hui ?
J’aimerais surtout être encore jeune et taper dans un ballon. À Joeuf, à Nancy, à Turin, à Paris, Man- chester, je ne sais pas. Peut- être que je n’aurais pas fait la même carrière. Je m’at- tache peu aux équipes, je re- garde les joueurs, c’est ce qui m’intéresse.
Êtes-vous toujours un grand pourfendeur de la
VAR ? On a perdu beaucoup de naturel dans le football moderne, non ? C’est très stéréotypé. J’ai toujours été contre, et je le suis encore. Rien n’est plus naturel. L’ar- bitre n’est plus important, complètement déresponsa- bilisé. Ils lèvent le drapeau dix minutes après l’action. C’est pathétique de la part de tous ceux qui ont fait ça. Même le coup d’envoi, tu tapes en arrière maintenant. Depuis deux siècles, tu en- gages devant, un juriste ar- rive à la Fifa et change les choses ( rires ). Rien ne me surprend des bureaucrates qui sont au pouvoir. Aucun des derniers présidents de la Fifa n’a tapé dans un ballon. On sait que la soupe est bonne. Quand Infantino joue au football, il fait de la contre-publicité au football ( rires ).
Avez-vous un regret dans votre vie ?
En principe, je n’en ai pas. Mais si le Cosmos de New York avait encore existé à mon époque de joueur, j’allais aux États- Unis à la fin de ma carrière. Pour l’expérience de vie, New York… C’est mon petit regret. Cela m’aurait bien plu. Mais je n’aurais pas eu la vie trépidante, entre pré- sident de la Coupe du monde (1998), entraîneur, garde à vue, président de l’UEFA. J’ai même signé un autographe pendant ma garde à vue dans la geôle à un Ukrainien. Il m’a dit que les prisons françaises étaient mieux que celles de son pays ( rires ).
Qu’avez-vous gardé de votre carrière?
Je n’ai plus aucun maillot ! À Nancy, on n’en avait qu’un par an… À la Juve, c’était deux par match, mais avant que je joue, les adversaires me de- mandaient le maillot. Je n’ai plus beaucoup de souvenirs. Quand ce n’est pas mon pe- tit-fils qui me les pique. J’ai gardé les trophées et les Bal- lons d’Or quand même.
Vous prenez beaucoup de choses avec légèreté…
La vie est belle. J’ai toujours été heureux. C’est mon éducation.
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