« Ô Toulouse ! », chant des baroudeurs
LOIC VENANCE/AFP
Jonas Abrahamsen (à gauche), à son arrivée à Toulouse, le 16 juillet.
Dans la 11e étape, une boucle autour de la Ville rose (156,8 km), victoire du Norvégien Jonas Abrahamsen (Uno-x), présent dans l’échappée. Tadej Pogacar est tombé dans le final, sans dommage. À partir de ce jeudi, place aux Pyrénées.
17 Jul 2025 - L'Humanité
Envoyé spécial. JEAN-EMMANUEL DUCOIN
Acte I, scène 1.
Et nos cerveaux embrumés virèrent au gris anthracite, comme si notre désorientation du Tour prenait de l’ampleur. La caravane se retrouvait donc sans préavis, boussole cassée, du Massif central à Toulouse… pour une boucle autour de la Ville rose (156,8 km) jonchée de cinq bosses plutôt concentrées dans le final, une étape qui n’avait rien de transitoire. Les scrutateurs aguerris, qui connaissent la Légende des cycles, sans parler des coulisses de l’exploit au quotidien, se sentirent quelque peu rincés. Et rien à voir avec la lassitude des coureurs.
BESOIN DE RÉCUPÉRER
En consultant de plus près le « livre de route », calculatrice en main, le chronicoeur s’aperçut que nos héros de Juillet seraient soumis à plus de 3000 kilomètres de transfert entre les étapes, soit presque autant que la taille du tracé proposé à nos pédaleurs de Lille aux Champs-élysées : 3338,8 kilomètres… En toute logique, les coursiers subissent chaque matin et chaque soir de longues heures de bus pour rallier leurs hôtels, puis les villes-étapes, dans un tourbillon incessant de départementales, d’autoroutes et d’embouteillages. Ce que nous nommons « l’autre Tour », celui que le grand public ne voit pas et soupçonne à peine. Des périples usants. Une véritable machine à laver. Petite phrase ironique de Tadej Pogacar : « Ce Tour me fait vieillir, parce qu’on n’a même pas le temps de se raser. Il y a tellement de transferts… Dimanche, deux heures dans le bus avant le départ, trois heures dans le bus après l’arrivée. Peut-être que je devrais emporter toute ma trousse de toilette dans le bus pour les prochains jours… » Cette année, aucune ville-arrivée n’est ville-départ le lendemain…
Acte I, scène 2.
Telle est la vie de cycliste. « On doit optimiser la récupération dans le bus, témoignait Stéphane Goubert, directeur sportif de Groupama-fdj. Si on gagne quelques minutes tous les jours, ça peut représenter une journée à la fin du Tour. Sur trois semaines, celui qui gagne, c’est celui qui, en plus d’être fort, gère parfaitement sa récupération. Alors il faut faire avec et s’adapter. » Ce que confirmait Nicolas Guillé, directeur sportif chez Decathlon-AG2R la Mondiale : « Quand on arrive à l’hôtel à 20 h30 ou plus, les soirées sont courtes et il faut être ultra-efficace. L’idée, c’est déjà que les coureurs puissent récupérer le plus possible dans le bus. Les timings sont serrés. Heureusement, on a des staffs fournis, des assistants, des kinés et des ostéo aux petits soins. »
Acte II, scène 1.
En mélancolie cycliste, les jours de fortes chaleurs – « on dirait le Sud » – s’offrent d’ordinaire aux méditations dignes d’un adagio. Pas le temps. Dès le kilomètre zéro, les attaques à la volée se succédèrent pour prendre l’échappée, sur les terres de Haute-garonne. Nous observâmes du coin de l’oeil le nouveau porteur de la toison d’or, l’irlandais Ben Healy, entouré de ses équipiers d’education First, formation hyper-offensive pour la chasse aux victoires d’étape, dévolue désormais à un autre rôle : « Nous avons l’intention de défendre le maillot jaune aussi longtemps que possible », selon le directeur sportif, Charles Wegelius. Ce qui contrastait avec la joie de Pogacar, qui vivait telle une bénédiction le troc de sa position de leader, temporairement déchargé des contraintes médiatiques et protocolaires qui lui coûtaient jusque-là pas loin de deux heures de récupération en moins.
UN DRAME ÉVITÉ DE PEU
Acte II, scène 2. Les courageux éclaireurs de cette 11e étape menée tombeau ouvert furent au nombre de trois (Schmid, Abrahamsen et Ballerini), puis cinq (Burgaudeau et Wright), longtemps poursuivis par cinq autres chasseurs (De Lie, Simmons, Laurance, et les deux frères ennemis Van Aert et Van der Poel,). Leur avance au fil de l’après-midi oscilla, jusqu’à validation de la tentative par le peloton, fruit d’une partie de manivelle insensée. Les dix fuyards se disputèrent un triomphe de prestige, d’abord dans la côte presque terminale de Pech David (800 m à 12,4 %), puis au coeur des rues de Toulouse. Tous réhaussèrent le statut de baroudeurs à la hauteur de leur chants fous : « Ô Toulouse ! » VDP échoua de peu à revenir sur deux rescapés, le Suisse Mauro Schmid et le Norvégien Jonas Abrahamsen (Uno-x). Ce dernier coiffa son compagnon d’échappée d’un souffle.
À l’arrière, Tadej Pogacar évita le drame de peu. Accrochant une roue dans un moment de tension extrême, à moins de 4 bornes du but, il tâta du bitume, manqua d’un rien de se fracasser sur un trottoir, puis reparti sans dommage. Avant de réintégrer le groupe de favoris, qui ralentirent l’allure. En une fraction de seconde, tout aurait pu s’arrêter pour le Slovène. Rien n’est jamais acquis, sur Tour…
Épilogue.
Avouons-le humblement, le chronicoeur eut soudain l’esprit au lendemain : l’entrée grandiloquente dans les Pyrénées. Ce jeudi, en effet, place aux pentes meurtrières jusqu’à Hautacam (HC), via le Soulor (1re cat.). Ce vendredi, sous la forme d’une course de côte façon tuerie et heure de vérité (10,9 km), le fameux chrono conduisant les rescapés et les cadors au faîte de Peyragudes (1re cat.). Et, ce samedi, la fin du triptyque infernal avec la montée de Superbagnères ( HC), par le Tourmalet (HC) et Peyresourde (1re cat.). Trois arrivées au sommet, qui actionneront une part de vérité. Qui inventera la métronomie d’altitude, délocalisant les lieux des preuves légendaires ? Pogacar ? Qui balaiera le théâtre des Illustres d’un coup de pédale assassin ? Vingegaard, Evenepoel ? Bref, nos cerveaux resterontils proches du gris anthracite ?
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