Dans les faubourgs de Kigali, l’envol de Pogacar
Le Slovène Tadej Pogacar est sacré champion du monde
pour la seconde fois, à Kigali (Rwanda), le 28 septembre.
29 Sep 2025 - L'Humanité
FLORENT LE DU - Envoyé spécial
Kigali (Rwanda) - C’est à plus de 100 kilomètres de l’arrivée, dans des quartiers plus populaires que le reste du parcours, que le Slovène a bâti sa vctoire aux championnats du monde, dimanche au Rwanda. La veille, dans la course femmes, la Canadienne Magdeleine Vallières-mill a créé la surprise.
Cyzihiro a posé son vélo contre les barrières. Comme chaque jour depuis le début des championnats du monde cyclistes à Kigali, les premiers en Afrique, le gamin de 12 ans est venu applaudir les pelotons. « Bientôt, c’est moi que vous viendrez encourager, je suis le plus rapide du quartier » , glisse-t-il avec malice. Pour venir, il a piloté sa petite bicyclette grise de marque chinoise, à la chaîne rouillée, sur 15 bornes, « et pas mal de bosses » . Ce samedi, il a choisi la banderole des 3 derniers kilomètres pour voir la course féminine. Au pied de la dernière côte, raide et mal pavée, de cette boucle de 13,6 km, parcourue à 11 reprises par les femmes, 16 par les hommes dimanche. Cyzihiro ne connaît pas les coureuses, mais se régale du spectacle. Dans le dernier tour, il a pu apercevoir la Canadienne Magdeleine Vallières-mill créer l’exploit. À 24 ans, celle qui n’avait jamais gagné de grande course a distancé, quelques mètres plus loin, ses camarades d’échappée, la Néo-zélandaise Niamh Fisher-black et l’espagnole Mavi Garcia, pour devenir championne du monde. Un trio qui a réussi à tromper la vigilance des favorites, comme la Française Pauline Ferrand-prévôt, pour se disputer la victoire.
Derrière, quelques concurrentes sourient en observant la fête que leur font les Rwandais. Ici, des tambours couverts de paille peinte aux couleurs du drapeau local rythment les pas de danse de jeunes femmes en longues jupes blanches. Là, une école de musique et sa dizaine d’adolescents font résonner leurs cuivres.
Si l’ambiance est belle, Innocent, 28 ans, ne peut s’empêcher de la comparer à celle du Tour du Rwanda et son parcours attirant du monde de tout le pays. « Franchement, je m’attendais à ce qu’il y ait plus de gens » , lâche-t-il dimanche midi, peu après le départ des hommes. Car si l’affluence sur cette boucle a surpris les supporters européens lors des courses des jeunes, et s’est densifiée dimanche autour de la ligne d’arrivée, le reste de la boucle de 13,6 km ne s’est pas tant garni. Vêtue d’un maillot de son équipe de cyclisme locale, Evelyne a une explication : « Même si tous sont très fiers d’accueillir les championnats, de montrer la beauté de notre pays, la plupart des Rwandais n’avaient pas l’impression qu’ils étaient invités » , analyse la Kigaloise de 35 ans.
LE FACIÈS D’UN COUREUR EN PROMENADE
Elle raconte avoir essayé de convaincre des amis, de la famille, mais peu ont fait le déplacement : « Ils me disaient : “Mais c’est pas payant ? On a le droit d’y aller ?” » Une sensation que ces Mondiaux ne seraient « pas pour eux », sans doute liée à la localisation de ce circuit de 13,6 km qui évite les quartiers modestes. Un départ et une arrivée au centre de convention, symbole de la modernisation du pays, jouxtant le luxueux hôtel Radisson Blu, un passage par le quartier économique puis par le boulevard longeant le golf… Pas franchement « populaire ».
Mais dimanche, la passion a fini par éclater. Car contrairement aux autres courses, les hommes ont pédalé en dehors du circuit habituel. Pendant 40 km, à mi-course, ils ont bifurqué en direction du mont Kigali avant de revenir sur la fameuse boucle. Pour rejoindre la montée, ils ont emprunté les quartiers populaires de Nyabugogo et Kamutwa, où les immeubles commerciaux masquent des baraques en taule et des zones s’apparentant à des bidonvilles. Puis le peloton a pris la route menant vers la Province du Sud. Là où en milieu de semaine, encore loin du tumulte des Mondiaux, fourmillaient des transporteurs de marchandises à pied ou à vélo.
Ce dimanche, des milliers de spectateurs, dont beaucoup d’enfants, ont formé plusieurs rangées derrière les barrières. Innocent voit la scène sur un écran géant. Il exulte : « Voilà, voilà ! » À côté de lui, des jeunes sautent littéralement de joie. « Rwanda, Rwanda », crient certains d’entre eux. « C’est là que les gens vivent, font tous les jours le trajet entre les villages et la capitale » , explique Innocent.
Ces 40 km, hors des artères économiques de la capitale, resteront dans l’histoire. Pour la liesse populaire authentique, qui valide le succès de ces Mondiaux et prouve à elle seule que l’Afrique mérite d’accueillir d’autres événements de cette ampleur. Mais également pour le scénario de la course.
Car c’est là, dans l’approche du mont Kigali, que le favori Tadej Pogacar a porté son attaque. À 104 km de l’arrivée. Une accélération folle, irraisonnable, si loin de l’arrivée. La marque de fabrique du quadruple vainqueur du Tour de France, qui avait conquis le maillot arc-en-ciel de la même façon en 2024. Son rival, le Belge Remco Evenepoel n’a même pas essayé de suivre. Seuls les habituels coéquipiers du Slovène dans l’équipe UAE, Juan Ayuso (Espagne) et Isaac Del Toro (Mexique), ont tenu la roue. Une illusion : quelques dizaines de kilomètres plus loin, chacun finira par exploser sous le rythme imposé par Tadej Pogacar.
Même la chaleur, particulièrement assommante ce dimanche – seuls 30 des 165 partants ont passé la ligne d’arrivée –, n’a pas atteint le désormais double champion du monde. Écoeurant. Comme depuis deux ans, rien ne semble perturber le Slovène lorsqu’il a décidé de gagner une course. À chaque passage de la côte finale, il a creusé puis maintenu son écart. Y compris lorsque Remco Evenepoel a produit son effort dans les trois derniers tours, pour finir deuxième à 1’28’’ devant l’irlandais Ben Healy (2’16’’) et le Danois Mattias Skjelmose (2’53’’). Le 5e, Tom Skujins (Lettonie), étant relégué à plus de 6 minutes…
Même dans les forts pourcentages, le Slovène a grimpé avec le faciès d’un coureur en promenade, tranchant avec la souffrance de ses concurrents. Les forts soupçons autour de ses performances exceptionnelles n’en seront que renforcés.
Qu’importe pour la foule rwandaise. Aux passages du champion de 27 ans, un groupe de motos-taxis, profitant de la compétition avant le coup de feu d’après-course, lèvent les poings en criant « Pogacar, Pogacar ! » sous les regards amusés des nombreux supporters néerlandais et belges. Eux garderont en mémoire sans doute davantage ces moments de partage. Beaucoup se promettent de revenir sur le continent, pour le Tour du Rwanda ou de futurs championnats du monde en Afrique. En espérant que L’UCI se souvienne des images du mont Kigali et de l’importance de faire passer les coureurs là où vivent les gens. Le propre de la popularité de ce sport.
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