L’immortel







    L’Italie, Cesenatico et, au-delà, de nombreux fans de cyclisme commémoraient hier la mort de Marco Pantani, dont le souvenir est toujours brûlant vingt ans après.
15 Feb 2024 - L'Équipe
DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX
TEXTE: ALEXANDRE ROOS - PHOTOS: SÉBASTIEN LEBAN

“Je ne l’ai pas connu, j’avais 12 ans 
en 1998 quand il a gagné le Giro 
et le Tour. Mais c’est sa force, 
il a donné des émotions même 
à ceux qui ne l’ont pas connu"
   - STEFANO BAGNOLINI, ÂME DE LA FONDATION PANTANI

CESENATICO (ITA) – Marco Pantani pédale toujours et le pèlerinage de Cesenatico convaincra le premier des infidèles que le «Pirate» n’est pas mort et ne le sera jamais. Les dévots qui font battre le coeur de cette passion au musée consacré au grimpeur italien, juste à côté de la petite gare de la ville, ont poussé l’allégorie et le prosélytisme jusqu’à représenter leur idole accrochée au mur de la façade sur un vélo, un maillot rose sur les épaules et un cuissard Mercatone Uno sur de fines jambes qui tournent pour l’éternité.

Cesenatico et avec elle l’ensemble de l’Italie se souvenaient hier de leur enfant chéri et maudit, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort, ou plutôt de la naissance de son mythe. L’histoire de Marco Pantani est celle d’une boîte d’allumettes qu’on aurait allumées toutes en même temps, la gloire sportive, le grimpeur incandescent qui expliqua un jour au regretté journaliste Gianni Mura que s’il allait si vite en montagne c’était pour «abréger ses souffrances», les tourments du dopage, les mystères d’une mort si jeune, à 34ans, dans un motel glauque de Rimini après une overdose de cocaïne, et d’une enquête pour beaucoup bâclée. Un tourbillon qui ne pouvait qu’emporter avec lui un champion si fragile, un dieu de ce côté des Alpes, noyé dans les excès, les siens et ceux des autres.

Hier matin, alors que la fraîcheur matinale lâchait son étreinte sur les plages de l’Adriatique, ses premiers supporters installaient des banderoles jaunes sur la barrière devant le musée. « Marco est présent», «Justice pour Pantani» .

Stefano Bagnolini était l’un d’eux. Sweat à capuche avec au verso une tête de pirate et au recto une citation du coureur – « La montagne n’appartient qu’à quelques-uns» – l’âme de la Fondation Pantani, qui a pris le relais du fan-club et soutient des équipes de jeunes, lâche: «Aujourd’hui (hier) est une journée pour son adoration. Il me manque tant et pourtant je ne l’ai pas connu, j’avais 12 ans en 1998 quand il a gagné le Giro et le Tour. Mais c’est sa force, il a donné des émotions même à ceux qui ne l’ont pas connu.»

À son côté, Corrado Neggia acquiesce. « Pour nous, Marco est toujours vivant » , lance celui qui l’a suivi en tant que journaliste, pour le Corriere dello sport ou La Stampa, de 1996 à 2001. «Marco n’aimait pas se donner en spectacle, tout ce qu’il voulait, c’était parler, partager et vivre sa vie » , enchaîne-t-il. Corrado Neggia vit à Biella, dans le Piémont, au pied du Sanctuaire d’Oropa, théâtre d’un des plus grands exploits de Marco Pantani, dans le Tour d’Italie 1999, mais il vient deux fois par mois à

Cesenatico. Il fait vivre un spectacle qui continue de se produire un peu partout dans le pays, Mon nom est Marco, inspiré d’un livre écrit par la mère du champion, Tonina Pantani. «Pour elle, c’est une journée très compliquée, je ne suis pas sûr qu’on la verra aujourd’hui», souffle-t-il.

La veille, mardi soir, il faisait partie des 5 000 supporters massés dans la Curva mare du stade de Cesena, pour un match de Troisième Division contre Arezzo. Le «virage de la mer» avait confectionné un tifo de milliers de petites pancartes «Marco est vivant» et d’une longue banderole qui traversait la tribune: «Tu cours toujours aujourd’hui, je le sens. Le vent ne t’attrapera jamais.» À l’entrée du musée, Corrado Neggia nous présente Michel Delvecchio, «un ami de la famille Pantani». «Mon frère était très proche de Marco et il est mort trois mois avant lui, explique le quadragénaire, les larmes aux yeux. Marco, je le sens toujours là, c’est très profond. Pour nous tous, cela fait vingt ans qu’il est toujours avec nous, alors qu’en réalité, il ne l’est plus. Dans l’intimité de notre cercle d’amis, sa magie vit toujours.»

Au milieu des maillots de Pantani, devant des vitrines aux thèmes divers – Marco à la pêche, Marco à la chasse, Marco au ski –, un journaliste de la RAI assure un direct. Les médias transalpins ont bien sûr accompagné l’anniversaire de la mort de Pantani, la télévision italienne a diffusé le week-end dernier un documentaire à partir d’archives, un nouveau roman est sorti dans lequel un père explique à sa fille pourquoi il a un tatouage de pirate sur l’un de ses mollets, les hommages de ses anciens équipiers ont noirci les colonnes des journaux et la Gazzetta dello sport a fait réimprimer trois de ses éditions historiques avec Pantani en une, dont celle de sa mort.

« Vingt ans se sont écoulés et Pantani manque terriblement au cyclisme italien, qui est toujours à la recherche d’un nouveau point de référence alors que son passage a laissé un sillon sur les sentiers de la légende, a écrit en hommage Pier Bergonzi, un des patrons du quotidien rose. Il n’y a pas dans l’histoire contemporaine du sport italien un champion aussi charismatique.»

Dans le livre d’or du musée, Mauro, venu avec son épouse Rosa depuis Lucques, a laissé un mot. «Tu seras toujours dans nos coeurs. Mon père avait écrit un poème pour toi en 1998 après ta victoire dans le Tour, maintenant qu’il est mort je suis venu le lire à tes parents.» Un peu plus tard, on retrouvera le couple d’une soixantaine d’années au cimetière de Cesenatico, au milieu des cyprès, à l’entrée de l’allée 16, celle où se trouve le caveau de la famille Pantani, une spirale qui monte vers les cieux comme Pantani grimpait au sommet des montagnes. Ils sont venus déposer une rose jaune. Devant le mausolée, une petite file d’anonymes venus laisser des fleurs ou des messages s’est formée. Ils en profitent pour échanger quelques mots, une poignée de main, une accolade avec Ferdinando Pantani, dit Paolo. Bonnet noir sur la tête, monture de lunettes de la même couleur, le père de Marco converse avec quelques cyclos, il est question d’Aprica, de Mortirolo, de souvenirs en pagaille. Papà Paolo, comme tout le monde l’appelle avec affection, confirme que sa femme Tonina ne viendra pas, «un mal de jambe » , dit-il, et retrace l’histoire des échantillons sanguins de son fils, persuadé qu’il a été piégé à Madonna di Campiglio, quand un niveau d’hématocrite audelà de 50 %, le seuil à partir duquel le dopage est en général avéré, a conduit à son expulsion du Giro au lendemain de sa victoire d’étape là-haut.

C’était le 5juin 1999, date de la première mort de Pantani selon les tifosi. « Mon Marco me manque, c’est un jour où je suis ému de voir que personne ne l’a oublié, mais aussi triste, bien sûr, murmure Paolo Pantani, qui devait assister à une messe en la mémoire de son fils hier soir. Marco était une personne honnête et juste, ils ont voulu le détruire parce qu’il les dérangeait. Vingt ans après, nous attendons toujours la justice, mais nous nous battons contre le pouvoir. Nous n’abandonnerons pas.»

Une troisième enquête est toujours ouverte devant le parquet de Rimini, qui devrait cependant prononcer un nouveau classement sans suite dans les prochains jours, alors que la famille, les proches et toute une partie des observateurs demeurent persuadés que Marco Pantani a été assassiné.

Sous la lumière vaporeuse de l’Adriatique, cet horizon sans cesse voilé, la mythologie s’est nichée dans les brumes de l’histoire, elle s’est nourrie des flous du drame. Au fil du temps, la mélancolie a remplacé la douleur mais l’armée des fidèles ne s’est jamais démobilisée. Avant de quitter le cimetière, Paolo Pantani a balayé les dalles devant la tombe de son fils. Comme un jour ordinaire. Le même depuis vingt ans.

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