Monumentale Alpecin-Deceuninck
En décrochant à Roubaix son troisième Monument de la saison, la formation belge, bâtie sur une simple équipe de cyclo-cross et un ado prometteur, trône aujourd’hui au sommet des spécialistes des classiques.
8 Apr 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - PIERRE CALLEWAERT
"L’attaque à 60 km nous a surpris.
C’était peut-être conforme à son plan mais pas au nôtre!
Mais quand c’est arrivé, tout le monde était prêt"
- GIANNI VERMEERSH
ROUBAIX (NORD) – Était-ce seulement de la mousse de savon qui éclaboussait la foule de Roubaix? Au pied du camion-atelier de l’équipe Alpecin hier soir, on aurait plutôt juré que les mécanos lavaient au champagne à haute pression les vélos fatigués de leurs coureurs déglingués. Avec, montant depuis le Vélodrome en fond sonore, les notes lointaines du Wilhelmus, l’hymne national des Pays-Bas, donc du cyclisme.
Comme la carbonnade, l’euphorie a sa version flamande et l’équipe née à Morkhoven, en Campine, il y a près de quinze ans, ne dérape pas trop dans le délirant. Pourtant, elle aurait de quoi. Elle est ce matin la seule équipe de l’histoire à avoir remporté Milan-San Remo, le Tour des Flandres et Paris-Roubaix la même saison. En quatre ans, depuis que Mathieu Van der Poel (29ans)adécidédedevenirunroutieraprès avoir écrasé tous les circuits de cyclo-cross du monde, l’ancienne équipe BKCP compte aujourd’hui sept Monuments, dont six pour le Néerlandais ( voir ci-contre). Van der Poel sera encore aligné le 21 avril au départ de Liège-Bastogne-Liège.
Tête de nonagénaire refaite au fusain mais frais comme s’il avait aussi un peu gagné, arrive Gianni Vermeersch (6e hier). Après le dépoussiérage, il retrouve la parole pour résumer ce qu’on a vu hier dès le kilomètre zéro: une équipe. Derrière le triomphe en solitaire de Van der Poel au Vélodrome se dessine une machine collective aujourd’hui huilée pour répondre, à la pédale, aux critiques de début de saison. La deuxième place de Jasper Philipsen à Roubaix, après sa victoire à San Remo (le 16 mars), est également une preuve qu’elle ne tourne plus en orbite autour d’un seul soleil.
Avec Vermeersch, même son mouvement incongru à la sortie du pavé de Wallers, une accélération à la suite de la crevaison de Mads Pedersen (Lidl-Trek), a été mis à profit pour lancer Van der Poel plus loin, à Orchies. Mieux, Alpecin a contrôlé la course la plusdureàcontrôler: «Onadominélaquasitotalité, raconte le porte-flingue du jour. L’année dernière, on avait déjà fait une course presque parfaite. On pouvait croire qu’on ne pourrait pas faire mieux mais nous l’avons fait. D’abord, Oscar Riesebeek a roulé fort, avec du vent de côté et la course a vite basculé. Après un secteur, j’ai regardé en arrière et j’ai vu qu’il y avait encore 30, 40 hommes. J’ai crié dans l’oreillette qu’on devait continuer à fond. Et ça ne s’est pas arrêté.»
Si Philipsen ne livrait aucun secret fracassant sur l’alchimie de son équipe ( «Un bon management, des bons coureurs, ça fait plaisir.» ),AdrieVanderPoel,lepèreduvainqueur du jour, développait: «Une équipe comme celle-ci donne évidemment beaucoup de confiance. Il y a eu des doutes il y a trois semaines mais sa force est de travailler pour un objectif précis, aligner les coureurs les mieux adaptés et les plus en forme pour un parcours donné.»
Philippe Roodhooft, manager général, a regardé la course sur un écran dans le pullman (le car de l’équipe). Il a construit Alpecin-Deceuninck avec son frère Christoph, au volant de la voiture. Il résume bien la position de Mathieu Van der Poel, un coureur qu’ils connaissent depuis ses 13 ans, dans la vie de l’équipe: «L’attaque à 60 km nous a surpris, admet-il en riant. C’était peut-être conforme à son plan mais pas au nôtre! Mais quand c’est arrivé, tout le monde était prêt.» Et maintenant? «Nous essayons de ne pas tomber dans l’euphorie. Il y a encore des objectifs. Notre saison est incroyablement réussie et meilleure que jamais mais nous essayons de rester modestes.»
Van der Poel en tête de gondole dès ses 19 ans
«Mon frère Philip et moi, quand on a mis en chantier cette équipe, on avait en tête des rêves immenses, disait Christoph Roodhooft lors du dernier Tour, alors que Philipsen chassait le maillot vert et les étapes flanqué de Van der Poel en poisson-pilote. Mais tu ne peux pas toujours les exprimer. Sinon les gens pensent que tu es fou.» C’est pourtant son équipe qui prend aujourd’hui toute la lumière, sur les classiques notamment, alors que la Soudal-Quick Step voit cette place importante (en Flandres) lui échapper. À l’origine, en 2009, leur équipe BKCPPowerplus s’est bâtie sur le cyclo-cross autour de Niels Albert. Déjà un modèle périlleux autour d’un seul homme, qui s’est effondré en 2014 quand le double champion du monde de cross (2009 et 2012) a stoppé sa carrière à cause de problèmes cardiaques. «Mathieu avait 19 ans à l’époque, racontait Christoph Roodhooft au Nieuwsblad. Il était juste prêt à reprendre le relais. On a eu un peu de chance.»
Roodhooft connaissait Adrie Van der Poel, qu’il avait rencontré au café de Roland Liboton, ancien crossman belge, où il venait chercher des conseils d’entraînement pour lui, en juniors, ou ensuite pour Niels Albert. Plus tard, Roodhooft a donné du matériel à son fils, David. «Et Adrie m’a dit: “J’en ai un autre qui court et qui a du potentiel.”»
Dès 2013, Mathieu Van der Poel signait un contrat pro pour quatre ans, juste après son titre de champion du monde juniors sur route à Florence (devant Mads Pedersen). Avec un budget actuel estimé à 16 millions d’euros, les frères Roodhooft ont grandi en suivant l’irrésistible ascension de leur étoile. En 2017, son salaire était estimé à un million d’euros. Et le trio perdure : le 18 mars, le champion du monde signait un contrat qui le liait à Alpecin-Deceuninck jusqu’à 2028, prolongation de trois ans agrémentée d’un accord de dix ans avec Canyon, qui vend les vélos qu’il tient à bout de bras sur les lignes d’arrivée.
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