Peintures à Lô
Sixième homme de luxe de l’Allemagne championne du monde qui brigue aujourd’hui sa place en finale de l’Euro, le meneur cultive une passion pour l’art qui irrigue son propre jeu dans les raquettes adverses.
« Il y a un lien entre le basket et l’art,
même si le premier a plus de structure,
le deuxième relevant de l’expression pure»
- MAODO LÔ, MENEUR DE L’ALL'EMAGNE
« La beauté naît de la création, des feintes,
des hésitations et des incertitudes »
- MAODO LÔ
12 Sep 2025 - L'Équipe
YANN OHNONA
RIGA (LET) – La peinture est son terrain de jeu. Celle qui orne les raquettes des parquets de l’Euro, bien sûr, mais pas uniquement. Quand il se lance dans un raid au coeur des défenses adverses, comme celle de la Slovénie mercredi (11 points dans la victoire de l’Allemagne 99-91), qu’il s’en joue à coups de feintes et de dribbles chaloupés, Maodo Lô a sans doute des réminiscences.
Enfant, à Berlin, il slalomait déjà, dans l’atelier de sa mère, Elvira Bach, entre toiles, céramiques et sculptures en verre de Murano. Pionnière du néo-expressionnisme allemand, rare artiste féminine faisant partie du mouvement des Nouveaux Fauves (Neue Wilde) au début des années 1980, Bach est une artiste peintre très respectée, exposée au MoMa et au Guggenheim à New York, mais aussi aux quatre coins du monde. Elle l’a été par exemple à Saint-Paul-de-Vence.
Rien d’étonnant, du coup, à déceler dans le jeu de Lô un coup de pinceau unique, une élégance innée portée par ses semelles de vent. Le joueur (1,91 m, 32 ans) passé par Paris la saison dernière, avec qui il a été sacré champion de France, est aussi le meneur remplaçant et sixième homme de luxe de l’Allemagne. Champion du monde avec elle en 2023, il dispute aujourd’hui la demi-finale de l’Euro contre la Finlande. Quatrième marqueur (9,8 points, 50% à 3 points, 3,5 passes)
Maodo Lô dans une galerie exposant des oeuvres de sa mère (à gauche) et à l’attaque du cercle face au Slovène Gregor Hrovat, mercredi lors de la victoire allemande (99-91) en quarts de finale de l’Euro. derrière le trident Franz Wagner-Dennis Schröder-Daniel Theis, Lô est devenu un pigment central du dispositif d’Alex Mumbru. « J’ai grandi dans une famille… différente, souffle le natif de Berlin, excellent shooteur à 3 points et futur coéquipier de Sylvain Francisco au Zalgiris Kaunas. Dans une maison où l’art est partout, l’environnement n’est pas conventionnel, conformiste. J’ai rencontré des personnalités éclectiques, des galeristes. Je suivais ma mère partout pour ses expositions, à Séville, Venise… J’ai appris à apprécier la peinture, l’architecture, j’ai développé un sens de l’esthétique. J’ai adoré Paris pour ça, ses bistrots, musées, bâtisses. J’ai fait l’Art Basel au Grand Palais, l’exposition David Hockney…»
Titulaire d’un bac international, étudiant et basketteur à Columbia (New York) avant de revenir en Europe, Lô cite Paul Cézanne comme l’un de ses peintres fétiches – «Je ne savais pas qu’il avait eu une période cubiste. Le métissage et la capacité à mélanger les influences m’ont toujours fasciné.» Ainsi que l’Éthiopien Tesfaye Urgessa, dont les oeuvres, qui ont notamment pour thèmes l’injustice sociale, le racisme ou la brutalité policière, le touchent au coeur. «Vous connaissez le Colombien Fernando Botero ? On y retrouve quelque chose de la rondeur de ses sculptures, mais peintes.»
La passion pour les toiles de Maodo Lô, dont le prénom est un hommage à une figure religieuse majeure du soufisme au Sénégal, Malick Sy, transpire sur le parquet, où il compose sa propre oeuvre d’art – 9 de ses 11 points dans le dernier quart face à la Slovénie de Luka Doncic. « Il y a un lien entre le basket et l’art, même si le premier a plus de structure, le deuxième relevant de l’expression pure, sans limites ni règles », avance Lô qui, après s’être essayé au piano, a vite troqué les pinceaux pour les sneakers.
Avant de passer pro, il a rincé le playground berlinois de Hochmeister Platz, inspiré par son frère aîné, décédé en 2019 dans un accident. « Mon enfance a forcément influencé le joueur que je suis devenu, même inconsciemment, analyse celui dont le père est agriculteur au Sénégal, où il cultive la semoule. J’aime mettre de la couleur, quelque chose de ludique. Le basket n’est pas aussi beau s’il est joué comme un robot. Et la beauté naît de la création, des feintes, des hésitations et des incertitudes. » Autant de choses qu’il retrouve dans une passion parallèle pour la musique, du hip-hop d’aujourd’hui à Chopin – «J’ai une liste de classique », sourit-il –, en passant par John Coltrane, Miles Davis ou le pianiste Ahmad Jamal. Si vous croisez Lô, vous pourrez aussi lui parler français, puisqu’il a profité de sa saison à Paris pour suivre des cours intensifs.
Avec pour héros de jeunesse et modèle Jamal Crawford – ex New York, LA Clippers, reconnu comme l’un des meilleurs manieurs de ballon et sixièmes hommes de l’histoire de la NBA –, Lô a développé un jeu «aéré» , dixit l’un de ses anciens coaches, sachant jouer de sa vitesse et d’une palette technique aux nuances complexes pour éviter les contacts et ne jamais se faire pincer avant d’arriver au cercle. Les Susijengi, la meute finlandaise de loups affamés qui se lanceront ce soir à sa poursuite, devront s’employer s’ils ne veulent pas finir relégués au rang d’esquisses sur sa prochaine toile.
***
Après une demi-finale dont l’Allemagne championne du monde sera favorite face à la Finlande de Lauri Markkanen, présente pour la première fois de son histoire dans le dernier carré, la scène laissera la place à un choc de titans. Entre la Grèce et la Turquie, outre un contexte politique tendu et la réactivation d’une rivalité entre Ergin Ataman, sélectionneur de la Turquie et coach du Panathinaïkos, avec ses propres joueurs et ceux d’Olympiakos, deux géants seront face à face.
Le double MVP NBA Giannis Antetokounmpo, le « Greek Freak », dont la sélection chasse sa première médaille depuis 2009, est au sommet de son art.
Il passera au révélateur de l’incroyable Alperen Sengun, le pivot turc de Houston, qui réalise un tournoi de MVP, déjà tombeur de la Serbie en poules et auteur d’un tripledouble (19 points, 12 rebonds et 10 passes) face à la Pologne. À 23 ans, il tourne à 21,6 points, 10,9 rebonds et 7,1 passes. Monstrueux. Y. O.
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