Un stade, deux ambiances
Aux Jeux de Tokyo, les épreuves s’étaient déroulées dans une enceinte vide de public. Cette fois, les athlètes pourront être encouragés par les 67 000 spectateurs que peut contenir le Stade national.
Quatre ans après des Jeux sous cloche en raison de la pandémie, les athlètes se réjouissent de retrouver le Stade de Tokyo, mais cette fois rempli.
«Le public me donne de l’énergie.
J’ai hâte de voir le stade de Tokyo plein»
- KARSTEN WARHOLM
12 Sep 2025 - L'Équipe
STÉPHANE KOHLER
TOKYO – Dès 8 heures du matin aux abords du Stade national de Tokyo, situé entre les quartiers bouillonnants de Shinjuku et de Shibuya, on se retrouve plongé quatre ans en arrière : le soleil tape très dur, l’humidité est impressionnante et le port de la casquette, voire de l’ombrelle, est tout à fait recommandé. Lors des Jeux de 2021, ceux de la pandémie, seuls quelques manifestants opposés à leur tenue donnaient de la voix face aux policiers, malgré le Covid, chaque camp derrière les fameux masques.
L’immense et magnifique stade sonnait, lui, bien vide, privé de spectateurs payants et réservé aux différentes catégories d’accrédités (athlètes, staffs, organisation, journalistes, secouristes, bénévoles) qui avaient réussi à passer la barrière des fréquents tests salivaires. Malgré cette ambiance assez sinistre, voire lunaire, les performances furent exceptionnelles durant les épreuves d’athlétisme, marquées notamment par le record du monde du 400 m haies signé par Karsten Warholm en 45’’94, dans une course que beaucoup considèrent comme l’une des plus inouïes de l’histoire.
Cette fois, les 67 000 places du grand vaisseau tokyoïte seront presque occupées à chaque session, jusqu’au 21 septembre. Les derniers préparatifs avaient lieu ces dernières heures, un panneau mal accroché ici, l’installation de quelques barrières là, mais tout sera prêt et réglé au millimètre. Et les athlètes déjà présents en 2021 se réjouissent évidemment de cette seconde visite dans un contexte bien plus épanouissant et festif. « Je garde un super souvenir de Tokyo pour ce que j’y ai fait, rappelle Warholm. Je ne l’oublierai jamais. Mais quand on voit la différence que ça fait quand on peut courir devant un public… Quand je cours, par exemple à Oslo, c’est indescriptible la sensation que ça me procure, c’est électrique. Le public me donne de l’énergie. Et les spectateurs rendent l’après-course tellement meilleure, tu as quelqu’un avec qui célébrer… »
Deuxième de cette fameuse finale du 400 m haies, l’Américain Rai Benjamin a lui aussi des étoiles dans les yeux à l’heure d’évoquer les retrouvailles. « On a réussi la meilleure course de l’histoire, mais devant personne, se souvient-il. Là, il y a aura des fans du monde entier, les mêmes protagonistes sont de retour sur la piste et il y a de quoi encore marquer notre sport. »
Armand Duplantis est lui impatient de « vivre une expérience plus réelle que Tokyo 2021, où c’était horrible et super ennuyeux » . Le recordman du monde va-t-il gratifier le Stade national d’un saut à 6,30 m? « Ce sera super sympa et je suis très enthousiaste à l’idée de retrouver ce magnifique stade pour en profiter davantage », poursuit le Suédois. Renaud Lavillenie, 8e aux JO il y a quatre ans, est lui aussi de retour. « J’étais arrivé avec une cheville en moins, et reparti avec la deuxième dans le même état, sourit-il, tout en ne passant pas si loin d’une troisième médaille olympique. Même si les conditions étaient anxiogènes, il y a eu de très grandes performances en athlé, je pense que l’enjeu avait pris le pas sur l’environnement de la compétition, et n’oublions pas qu’avec le report d’un an, de nombreux athlètes avaient pu se préparer pendant de très longs mois. Et on a quand même été contents de vivre ces JO, même particuliers, car cela aurait tout aussi bien pu ne pas avoir lieu! »
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Un engouement local limité
Entre les difficultés économiques du pays et le souvenir déçu des JO de 2021, le Japon ne semble pas se prendre de passion pour ces Mondiaux qui s’ouvrent la nuit prochaine.
12 Sep 2025 - L'Équipe
FLORENT DABADIE
TOKYO – Aux JO de Tokyo, le 6 août 2021, les très attendus coureurs du 4×100 m japonais avaient raté un passage de témoin, ultime symbole de la bérézina des « Jeux du corona », comme les appellent les Japonais avec cynisme, souvenir des tribunes vides et de leurs enfants déçus. Rien ne remplacera la désillusion d’il y a quatre ans.
Si les médias locaux essaient discrètement (c’est un sujet sensible) de raviver la flamme, c’est en changeant de sujet: place au retour des Championnats du monde d’athlétisme, trentequatre ans après la fameuse édition de 1991, qui fut la première en Asie. Pour les nostalgiques, c’est le record du monde de Carl Lewis sur 100 m (9''86) et le saut éternel de Mike Powell à 8,95 m (qui reste encore la marque de référence). Mais, au Japon, ces Mondiaux restent aussi marqués par la victoire non moins herculéenne au marathon hommes du héros du cru, Hiromi Taniguchi, par plus de 30 °C et après qu’un peu moins de la moitié des coureurs avait abandonné.
L’athlétisme, point faible du sport nippon
Après le désamour de Tokyo 2021 et devant les difficultés économiques du pays, les entreprises locales ne se sont pas précipitées pour sponsoriser l’événement. D’autant que la visibilité des partenaires pâtit du fait que le diffuseur ne soit pas la télévision nationale NHK mais un diffuseur privé hertzien, TBS, avec largement moins d’impact dans les chaumières. Le budget de ces Mondiaux est de 110 millions d’euros, dont la moitié sera couverte par la vente de billets et les partenaires, l’autre moitié par la ville, le pays et les organisateurs. Lors des derniers Mondiaux d’Osaka 2007, la ville avait absorbé la moitié du budget, mais il est trop difficile aujourd’hui de demander cet effort au contribuable tokyoïte, alors que les salaires n’ont quasiment pas augmenté depuis trente ans et que le yen est au plus bas.
S’il y a une effervescence, elle est purement sportive. Le Japon est devenu, au XXIe siècle, un géant du sport, comme l’ont démontré les vingt médailles d’or glanées aux Jeux de Paris (3e du classement des nations, derrière les États-Unis et la Chine). Son ambition de croissance pour les JO de 2028 passe notamment par un effort sur son point faible, l’athlétisme. À part l’icône du javelot féminin Haruka Kitaguchi, peu d’athlètes japonais sont présents sur les affiches dans la ville ou dans les publicités des sponsors, aux côtés des Duplantis, Lyles ou Kipyegon. Les exstars du 4×100 m masculin nippon ont perdu de leur superbe depuis la médaille d’argent à Rio il y a neuf ans mais, dimanche 21, le relais pourra compter sur sa star Sani Brown et sur la pépite Sorato Shimizu, lycéen de 16 ans tout juste auréolé du record du monde U18 (10’’00) en juillet.
Le mystère reste peut-être la mascotte « Riku One », un chien Shiba Inu dont le super pouvoir est: « Une énergie insatiable à courir dans tous les sens », surprise générale car la ville de Tokyo impose légalement de « tenir tous les chiens en laisse ». Si Riku est le symbole d’un début d’infléchissement de la raideur des normes sociales du pays, la tenue des Mondiaux est d’ores et déjà justifiée.
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