IMPLACABLE
Il n’y avait rien à faire face à Mathieu Van der Poel. Ni ses adversaires, ni la pluie, ni le Koppenberg ne pouvaient l’empêcher de remporter un troisième Tour des Flandres au terme d’un nouveau chef-d’oeuvre de maîtrise.
1 Apr 2024 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL ALEXANDRE ROOS
AUDENARDE (BEL) – Dans cette nouvelle petite merveille, Mathieu Van der Poel aura eu raison sur tout, jusqu’au choix de son cuissard. Ce n’était pas un temps à sortir le modèle immaculé, au risque de le rapporter tout crotté à la maison, et puis, de toute manière, le noir est tellement plus beau. On ne peut que saluer l’esthétisme avec lequel le Néerlandais, bestiasse raffinée, a pris l’habitude de soigner ses triomphes. L’an passé, il avait vidé la via Roma de toute concurrence pour s’offrir un sacre rien que pour lui à San Remo et, sur Paris-Roubaix, il avait connu le frisson d’entrer seul au Vélodrome.
Hier, après deux victoires au Tour des Flandres où il avait dû s’employerjusqu’auboutpouréliminer ceux qui tentaient d’entraver sa marche vers la gloire, il est sorti du labyrinthe des Flandres en solitaire, maillot de champion du monde sur le dos, un arc-enciel qui filait dans la grisaille et sous la pluie, dans une nouvelle démonstration que sur les classiques, en dehors de vous savez qui, personne ne peut jouer avec lui.
Koppenberg gadouilleux ou pas,
l’issue aurait de toute manière été la même
Il ne lui aura ainsi fallu que 200 mètres dans le Koppenberg hier pour faire le ménage et afficher le monde qui le sépare des autres. Deux cents mètres qui ont concentré toute son excellence, ce sens du placement infaillible, cette précision de pilotage et cette force de Percheron sur les pavés les plus saillants. Van der Poel n’avait pas eu le temps de reprendre son souffle qu’on entendit les procureurs de canapé rouvrir le procès du Koppenberg car, derrière, en dehors de Matteo Jorgenson et de Mads Pedersen, tout lemondeavaitmispiedàterresur le pavé huilé par la pluie.
On pourrait effectivement décider de supprimer le Koppenberg du parcours. Retirons la Tranchée d’Arenberg de celui de Paris-Roubaix tant qu’on y est. On pourrait même arrêter de courir quand il pleut, ou alors on peut rappeler à ceux qui ne sont pas contents que chaque année sont organisés des Championnats du monde de cyclisme en salle.
Koppenberg gadouilleux ou pas, l’issue aurait de toute manière été la même, il n’y avait qu’à voirlechampiondumondelibérer sa puissance à l’avant, ses épaules de déménageur boxer sur les pavés du Taaienberg, plus tard dans le dernier passage du Vieux Quaremont, pour finir en kit à Audenarde, totalement détruit, au bout de 45km de violence.
Davantage encore que la brutalité de cet effort, que cette débauche de watts pour conclure l’édition la plus rapide de l’histoire (44,48 km/h de moyenne), c’est tout ce qui a précédé, amené Mathieu Van der Poel sur sa rampe de lancement, qui nous a bluffés. Avant le départ, on pensait avoir identifié deux faiblesses supposées pour éviter la raclée annoncée. La fébrilité de son équipe, mais les Alpecin-Deceuninck ont tout contrôlé, notamment quand les premiers feux d’artifice furent tirés, à plus de 100km de l’arrivée. Axel Laurance fut d’abord envoyé pour marquer Jonas Abrahamsen, puis Gianni Vermeersch pour canaliser Mads Pedersen.
Le Belge fut même autorisé à prendre quelques relais, une manoeuvre bien filoute, qui avait le double avantage de laisser le Danois griller des cartouches à l’avant et d’obliger les autres formations à rouler derrière. Et à 70kmduterme,VanderPoelavait encore Soren Kragh Andersen à son côté.
Ensuite, on croyait le Néerlandais capable de tomber dans le piège du chien fou, celui de vouloir aller croquer tous les mollets, mais il a été chirurgical. Il est ainsi allé mastiquer lui-même quand il sentaitqueçachauffait,maissans trop en faire, une première fois après le Molenberg, une autre après le Berendries (à 88 km d’Audenarde) où il boucha un trou de 20 secondes sur un groupe menaçant avec notamment Pedersen, Tiesj Benoot et Dylan Van Baarle.
Cette course brutale a consumé
les plus remuants dans les monts
Dans le deuxième passage du Vieux Quaremont, il passa cette fois lui-même à l’action, une accélération pour se projeter à l’avant, mais il n’en rajouta pas, il avait décidé que ce n’était pas encore le moment de s’envoler alors qu’il restait 55 km au sablier. Face à une telle domination, ses adversaires ont lutté avec leurs armes et avec une stratégie commune, celle d’anticiper.
On vit ainsi Matteo Jorgenson visser dès le Wolvenberg (113 km du terme), puis Mads Pedersen allumer le Molenberg, mais c’était au mieux une idée à double tranchant, au pis un suicide organisé, car toute cette essence allait forcément manquer plus loin. On notera d’ailleurs que tous ceux qui
avaient été remuants dans les monts, comme Alberto Bettiol et Dylan Teuns, en poursuite derrière Van der Poel dans la dernière boucle, ne sont pas allés cueillir les places d’honneur sur laligne,lapreuvequecettecourse brutale les avait complètement consumés.
À Audenarde, Luca Mozzato remporta le sprint des survivants, premier podium sur un Monument pour Arkéa-B & B alors qu’on pensait les Bretons mal fichus après la fracture d’une clavicule de Florian Sénéchal et la méforme d’Arnaud Démare. L’Italien devança Nils Politt (3e), qu’il faudra surveiller sur les pavés du Nord, après que ce pauvre Michael Matthews, qui avait été trop gentil dans le sprint à San Remo face à Jasper Philipsen (2e), a cette fois été jugé trop méchant par les commissaires et fut déclassé. Il n’y avait donc rien à faire face à ce chef-d’oeuvre de minutie et de sang-froid et on ne commettra pas le sacrilège de le nuancer parce que la concurrence a été affaiblie dans la chute d’À Travers la Flandre et que Wout Van Aert n’était pas là.
C’est terrible à écrire alors que le Belge se remet de ses graves blessures, mais il n’est plus dans le tableau et en matière d’hégémonie sur les classiques, il n’y a que Tadej Pogacar qui peut casser les reins de Mathieu Van der Poel. Les deux ont désormais chacun cinq Monuments au palmarès, mais si le Slovène est un champion ultime dans la mesure où il transcende son sport, casse les codes, le Néerlandais est lui devenu un coureur ultime, l’archétype du Flandrien – trois victoires sur le Ronde donc, cinq podiums d’affilée –, mais pas seulement.
À 29 ans, il est au sommet de son art, il écrase le pavé comme il gomme les impondérables, réduit les aléas, domine les éléments de courses réputés incontrôlables. Il a atteint un état de plénitude et s’il a annoncé hier que sa saison était déjà réussie, on sait aussi que dimanche, il voudra à nouveau dompter la plus rebelle des classiques. Et qu’on a déjà tellement hâte d’y être.
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