Un pied dans l’histoire

En remportant un troisième succès sur le Ronde, Mathieu Van der Poel a égalé le record de l’épreuve. Mais il s’est aussi offert un luxe rare : le gagner avec le maillot de champion du monde.

Ses prédécesseurs sont admiratifs.

1 Apr 2024 - L'Équipe

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL - PHILIPPE LE GARS

“C’est une fierté pour un ancien comme moi de voir un champion 

exceptionnel comme Van der Poel rejoindre notre club''

   - ERIC LEMAN

AUDENARDE – Mathieu Van der Poel n’a pas eu le temps hier aprèsmidi de réfléchir au poids de sa performance, celle qui le fait entrer encore plus dans l’histoire de son sport. Il n’avait pas l’esprit à ça, trop épuisé par cette journée, «la plus éprouvante qu’( il) ait connue ». «J’étais en mode survie après le deuxième passage du Vieux Quaremont, il a fallu que je m’accroche comme rarement pour résister. Là-haut, je n’étais pas bien, mais je me suis repris» , a-t-il raconté à l’arrivée.

Car il y avait au bout une victoire de prestige avec le maillot arc-en-ciel sur le dos, ce que seulement cinq coureurs avant lui avaient réalisé jusque-là. «Gagner ici en tant que champion du monde est magique, c’est un rêve qui se réalise, ajouta-t-il. Ma saison est déjà réussie.»

Eddy Merckx avait lui aussi connu ce moment en 1975, il s’en est souvenu hier après-midi devant son poste de télévision. «Je me suis mis à la place de Mathieu, ça a dû être un moment particulier pour lui, a-t-il confié au téléphone. Ce sentiment spécial vaut pour tous les Monuments qu’ongagne entant que champion du monde. Moi, j’avais connu ce premier moment en 1968 sur Paris-Roubaix. La première fois reste toujours marquée dans les mémoires.»

Mais Mathieu Van der Poel a inscrit une autre ligne à sa carte de visite déjà prestigieuse, une troisième victoire qui le place sur la première ligne de l’histoire de ce Monument aux côtés de six autres coureurs, les seuls à avoir réussi ce triplé historique, d’Achiel Buysse, le premier, pendant la Seconde Guerre mondiale, à Fabian Cancellara il y a tout juste dix ans. «Mathieu a mérité de nous rejoindre, affirmait le Suisse hier soir au moment de quitter Audenarde. Il est jeune, c’est peut-être lui qui sera le premier à gagner quatre fois le Tour des Flandres. Mais il fait partie d’une autre génération, le cyclisme a changé depuis ces dix dernières années et c’est difficile de comparer. Quand j’ai commencé à marcher sur le Tour des Flandres, j’avais 29ans, alors que lui a déjà gagné trois fois au même âge. Ça va être plus facile pour lui de battre d’autres records, il va rentrer dans l’histoire du cyclisme et ça sera compliqué pour les suivants de faire aussi bien.»

Un autre détenteur de ce triplé record, Johan Museeuw, n’était pas vraiment du même avis. Le Belge, qui a buté à deux reprises sur une quatrième victoire (3e en 1999et2e en2002),estimequele plus dur commence peut-être pour Mathieu Van der Poel. «De toute façon, il est déjà dans l’histoire du cyclisme, il n’avait pas besoin d’une troisième victoire sur le Ronde, affirmait-il hier soir. Il est champion du monde, il a gagné trois Monuments différents, il a apporté assez de preuves pour qu’on le présente comme un des plus grands coureurs de l’histoire. Sur le papier, c’est sûr qu’il est celui qui est le plus proche de gagner un quatrième Tour des Flandres, mais ce n’est pas non plus un hasard si on est tous restés à trois. Dans ce cyclisme moderne, j’ai l’impression qu’on ne peut pas avoir une vision à trop long terme. On ne peut pas savoir combien de temps Van der Poel va rester au sommet. Il va peut-être baisser de régime plus tôt qu’on l’imagine.»

Un autre recordman au début des années 1970, Eric Leman, qui a aussi regardé la démonstration du Néerlandais à la télévision, était enthousiaste hier soir quand il avait fallu le situer à l’échelle de l’histoire du cyclisme. «C’est une fierté pour un ancien comme moi de voir un champion exceptionnel comme Van der Poel rejoindre notre club, rigolait le Belge âgé de 77ans et qui avait remporté ses trois succès en pleine ère Eddy Merckx. Mais sa victoire aurait eu plus de prestige si Pogacar ou Vingegaard avaient été là. Comme à mon époque où les coureurs du Tour de France (où il a gagné 5 étapes) venaient aussi courir le Ronde.»

Même bémol du côté d’Eddy Merckx : « Même si ça n’enlève rien au mérite de Van der Poel, il manquait quand même Van Aert et Pogacar pour le situer dans la hiérarchie », lança le grand champion belge, toujours très exigeant quand il s’agit de juger les performances des coureurs d’aujourd’hui.

« C’est sûr que l’absence de Wout (Van Aert) et la chute de Mads (Pedersen), mercredi, a modifié le scénario, ajouta Cancellara. Mathieu aurait sans doute gagné de toute façon. Et aujourd’hui on ne doit même pas s’attacher aux records. Sa façon de courir, magnifique, doit nous suffire.»