Evenepoel conquérant, Pogacar en jaune
Remco Evenepoel a bouclé le contre-la-montre à près de 54 km/h de moyenne.
Dans le contre-la-montre autour de Caen, victoire du Belge Remco Evenepoel. En terminant deuxième,
Tadej Pogačar s’empare du maillot jaune. Jonas Vingegaard finit 13e…
La suprématie du Tour semblait jusque-là se dessiner entre les trois « cadors ». Mais allez savoir, désormais ?
10 Jul 2025 - L'Humanité
Caen (Calvados), envoyé spécial. JEAN-EMMANUEL DUCOIN
Acte I, scène I.
Par un plein soleil normand sous un ciel d'un bleu mordoré, allait-on savoir à quoi et à qui comparer nos trois « montres » de juillet, lancés à toute vapeur dans l'un des deux contre-la-montre individuels de ce Tour (1), silhouettes juchées sur l'incertitude d'un chrono exigeant et éprouvant, propice aux purs spécialistes? Entre Caen et Caen (33 km), sur un tertre aussi plat qu' imaginé où Guillaume le Conquérant débuta la construction du château de la ville, Tadej Pogačar (UAE), Jonas Vingegaard (Visma) et Remco Evenepoel (Soudal) n'étaient pas, pour la première fois de cette édition, roue dans roue à se toiser, à se provoquer. Plus de tactique d'équipes ni d'emprise psychologique individuelle dans des bosses finales explosives. Juste de la fureur et de la puissance face à eux-mêmes.
En l'absence d'un des as du genre, l'italien Filippo Ganna, qui abandonna l'épreuve dès la 1re étape, l'art de rouler en solitaire devait être offrande et apesanteur pour les trois cadors du peloton. Avec un vent plutôt gênant, nous distinguâmes que le couperet des souffrances brutales déclencherait sa lame impitoyable, qu'il taillerait sèchement la volonté de nos héros de juillet qui concouraient à la convergence de deux essences brutes. Celle d'une minorité : l'intellect orgueilleux rehaussé de sophistications scientifiques poussées à outrance. Et celle des autres: le psychisme du galérien non amoureux du genre.
Acte I, scène II.
Une chose était certaine, le résultat de ce chrono donnerait des indications sur les forces en présence et à venir. Après s'être jaugés dans les côtes vers Boulogne-sur-mer et Rouen, avec le trublion Van der Poel en poisson-puncheur, les susnommés avançaient à découvert, certes, sauf que le Tour débute à peine et que les organismes n'ont pas été encore durement éprouvés. Évidemment, Remco Evenepoel, le coureur le plus «aéro» sur un vélo de contre-la-montre, pouvait afficher sa carte de visite : double champion du monde et médaille d'or aux JO de Paris… Ils allaient tout savoir d'eux-mêmes.
Acte II, scène I.
Par une chaleur plutôt écrasante, il était 16 h 58 quand Pogacar (UAE) se dressa sur sa machine de haute technologie pour manger le parcours, deux minutes après Vingegaard, quatorze après Evenepoel. Et nous cherchâmes traces visuelles, chez l'un, puis chez les autres, d'un quelconque héritage avec les rouleurs d'antan. Comparaisons absurdes. Ce fut là, face à une certaine incertitude, que débuta le combat de chefs et d'ego, à coup de mètres, pensions-nous. Sauf que, confirmant les premiers pointages intermédiaires, l'aiguille bascula irrémédiablement, sans que le déluge annoncé ne s'abatte sur les autres prétendants. Notons les performances d'affini (3e), d'armirail (4e), de Vauquelin (5e)…
Evenepoel, plus fort dans l'exercice de métronome, plus maître de son effort, se sentit emporté en avant, aspiré par le vide qu'il créa amplement devant lui. Non seulement il fut toujours en avance sur ses rivaux, mais il écrasa l'asphalte surchauffé. À la manière d'anquetil, d'hinault ou d'indurain, il imprima l'empreinte d'un genre, comme un modeste titulaire en chaire d'un bout de Légende, quand le cyclisme prend la mesure du monde dans ses excès.
Acte II, scène II.
Deux des trois passagers du bio-pouvoir en pole position, un troisième à la peine. Evenepoel: fidèle à son excellence en ce domaine, il sembla comme asphyxier toute idée de douleur à la dérobée de sa performance, fluide et limpide. Pogacar : à travers la bouffissure fendue de ses paupières, quelque chose de l'envie supérieure, portée par une méchanceté et une hargne puisée dans des envies de meurtres dues à sa forme du moment. Vingegaard : des rictus visibles à la commissure des lèvres, visage plutôt blême, se trouva à la peine et montra des signes d'inquiétude.
« LEURS MAILLOTS SONT MOINS JAUNES »
En mission, Evenepoel empocha la mise, à 54 km/h de moyenne, devant Pogacar pour 16 secondes – mais maillot jaune en prime pour le Slovène. La vraie surprise fut donc la contre-performance de Vingegaard, pas même sur le podium de cette étape, classé seulement 13e, à 1'21'' d'evenepoel. Désolant et inquiétant résultat pour le Danois, chassé du podium par le Français Kévin Vauquelin (Arkéa). La suprématie du Tour semblait jusque-là se dessiner entre les trois « cadors ». Mais allez savoir, désormais ?
Épilogue.
Le chronicoeur, présent mardi soir à Rouen pour une présentation-débat de Miroir du cyclisme dans la salle du conseil municipal de l'hôtel de ville, repensa très fort à Jacques Anquetil, honoré depuis deux jours en sa Normandie. Comme l'écrit magistralement l'écrivain et cinéaste Gérard Mordillat : « Wiggins, Froome, Nibali, Pogacar, Bernal, Vingegaard, Roglic… Peutêtre ma vue baisse-t-elle, mais j’ai l’impression que leurs maillots sont moins jaunes que les maillots jaunes de Jacques Anquetil. Pour tout dire, je les trouve un peu pâles, invisibles même, sous leurs casques et leurs lunettes. Ils ont perdu leur éclat. Ils sont comme délavés, bouillis, décolorés. La télé les a essorés comme elle essore tous les rêves. » (2) Même en plein soleil…
(1) L’autre contre-la-montre (10,9 km) se déroulera le 18 juillet, entre Loudenvielle et Peyragudes, avec une arrivée au sommet (1re cat.).
(2) La Toile cirée, nouvelle inédite de Gérard Mordillat, cinéaste et écrivain, dans Miroir du cyclisme, n° 475, juin 2025.
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