Le changement d’heure
Le contraste était saisissant hier après le chrono, entre un Tadej Pogacar serein sur les rouleaux de récupération et un Jonas Vingegaard battu et perdu dans ses pensées.
Battu il y a un mois lors du contre-la-montre du Dauphiné, Tadej Pogacar a retrouvé de sa superbe hier à Caen (2e à 16’’ de Remco Evenepoel) tandis que Jonas Vingegaard, seulement 13e, a lâché plus d’une minute à son grand rival.
“Tadej a aussi beaucoup amélioré sa souplesse, le gainage,
ce qui est crucial car la position de chrono est plus agressive"
- DAVID HERRERO, TECHNICIEN EN CHARGE DE
LA BIOMÉCANIQUE CHEZ UAE EMIRATES-XRG
10 Jul 2025 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS
Pogacar, le temps maîtrisé
CAEN – On peut préparer un contrela-montre au cordeau, plonger ses pensées dans un ordinateur qui compulse toutes les données des coureurs et n’écarter aucune superstition, ne froisser aucune croyance. Deux heures avant que Tadej Pogacar s’élance, David Herrero, technicien en charge de la biomécanique chez UAE Emirates-XRG, a vu une coccinelle se poser sur sa main et il s’est empressé, sous les yeux des parents du Slovène, de la transférer dans la paume de Fernandez Matxin, le manager sportif : « Cela porte chance. »
Un peu plus tard, le leader de la formation émirienne, sans jeu de mots, remettait les pendules à l’heure un mois après avoir déraillé lors de l’exercice solitaire au Critérium du Dauphiné. Entre Charmes-sur-Rhône et Saint-Péray, il avait concédé 48 secondes sur Remco Evenepoel, 28 sur Jonas Vingegaard et même Matteo Jorgenson lui était passé devant. Mercredi, sur les 33 kilomètres des routes caennaises, le champion du monde, (avec un mono-plateau de 62 et 11-30 à l’arrière) a réduit sa marge sur le champion du monde de la discipline belge (16 secondes perdues seulement) et relégué le Danois à plus d’une minute (1’05’’), tout ça donc en un petit mois.
Pour Herrero, pourtant, rien n’a vraiment changé depuis Saint-Péray: «La position était la même, le travail plus ou moins le même. Le Dauphiné était trop proche pour tout changer.» Sur les routes ardéchoises, « Pogi » avait simplement débranché selon Mauro Gianetti, le manager général: «C’est vrai, on s’est posé des questions et la vraie interrogation du Dauphiné était le rythme car Tadej avait perdu trente secondes en 7 km et il n’avait plus été en capacité de refaire son retard. »
Rapidement, tout le monde dans le staff, et le coureur luimême, ont reconnu un déficit d’attention, de concentration selon David Herrero: « Il avait débuté son chrono pas assez rapidement, un peu trop relax et il avait perdu du temps avant la montée. Ensuite, il n’avait rien perdu. » Fidèle à ses standards passés. Car la mue était déjà enclenchée depuis un an, depuis Combloux même, en 2023, quand Vingegaard l’avait broyé et laissé à 1’38''.
À l’époque, sa chute lors de Liège-Bastogne-Liège avait déréglé la machine, il n’avait pu s’entraîner sur le chrono qu’à partir de la mi-mai, contrairement à ces deux dernières an nées où il enchaîne «en moyenne trois séances de chrono par semaine, parfois deux, parfois quatre, estime David Herrero. Selon les plans de son entraîneur Javier Sola, il alterne entre le vélo de contre-la-montre et celui de route lors d’une même sortie. On a aussi beaucoup travaillé sur piste.»
En labo, il a revu sa position («on l’a ajustée pour qu’il mette sa tête plus bas et sur un chrono si long, cela fait la différence », constate Gianetti) et, en dehors du vélo, le triple vainqueur du Tour a changé de casque, de roues ( « plus étroites à l’avant, des 25, car nous pensons que c’est plus aérodynamique, et nous avons également une nouvelle roue pleine, plus légère» confirme Herrero), de tenue, poussant l’exigence jusqu’aux surchaussures revisitées. « Tadej a également beaucoup amélioré sa souplesse, le gainage, ce qui est crucial car la position de contre-la-montre est plus agressive (pour le corps) » , observe Herrero.
Vainqueur du premier chrono du Giro il y a un an (2e du second, derrière Filippo Ganna), idem sur la Grand Boucle deux mois plus tard mais dans le sens inverse (2e à Gevrey-Chambertin derrière Evenepoel, 1er à Nice), l’homme aux neuf Monuments est redevenu un spécialiste et le Dauphiné n’a semblé qu’un accident, ce qu’il a reconnu, mercredi: «Mon rythme avait été très mauvais, je m’étais trompé et je n’avais pas assez faim.»
Hier, la marge ténue avec son copain Evenepoel après cinq kilomètres lui « a donné une motivation encore plus grande. Je m’attendais à ce que Remco me prenne plus de temps. Ça m’a donné de l’énergie pour pousser jusqu’au bout ».
Avant de féliciter David Herrero («c’est une machine, il est capable de calculer le rythme à la seconde près » ), Mauro Gianetti n’a pu que saluer la « très belle performance» de son leader, qui a fait coup double: délaisser sa tenue varicelle de meilleur grimpeur pour retrouver le maillot jaune et s’offrir « un bel avantage sur Vingegaard ».
***
Vingegaard, la gifle inattendue
PIERRE MENJOT
CAEN – Quand ça ne veut pas… Alors que Jonas Vingegaard était retenu au contrôle antidopage après son contre-lamontre, le car jaune de son équipe patientait, moteur allumé, sans savoir s’il pouvait rentrer ou s’il devait attendre son champion, ou alors laisser une voiture à sa disposition, à moins que le double vainqueur du Tour préfère filer directement à vélo à son hôtel situé à proximité, comme ses équipiers. Un bon bazar qui a suscité l’impatience de certains assistants. Un directeur sportif a finalement remonté le kilomètre à pied pour aller aux nouvelles, pendant qu’un assistant, trottoir opposé, revenait au car avec le casque rouge et blanc de chrono du Danois… Un épilogue sans fin d’une journée longtemps sous le soleil, avec la première place provisoire d’Edoardo Affini durant trois heures (finalement 3e à 33’’), jusqu’à ce qu’un orage s’abatte sur les crânes néerlandais.
Après même pas dix minutes de course, Vingegaard avait perdu 19 secondes sur Pogacar. Au deuxième intermédiaire, l’addition montait à 30 secondes. « Trouve un bon rythme, tu rentres la tête et tu pédales! », lui intimait son directeur sportif à l’oreillette. Mais au milieu des champs de blé, à découvert avec un vent défavorable souvent, le leader des Visma semblait se battre sur son vélo, dodelinant presque, grimaçant, cherchant à se réajuster sur sa selle, loin de l’harmonie qu’il peut dégager parfois. Et l’impression visuelle se confirmait à l’arrivée, avec une 13e place seulement, 1’5’’ perdue face au Slovène et 1’21’’ sur Remco Evenepoel, vainqueur.
« Une journée difficile pour moi, soufflait-il à la chaîne danoise TV2. Je n’avais pas les jambes, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. Je ne pense pas que je roulais très bien et j’ai perdu beaucoup de temps. » « Dans un contre-la-montre comme ça, il n’y a pas de bonne ou mauvaise stratégie, appuyait son directeur sportif Grischa Niermann, avant d’en avoir parlé avec son coureur. C’est juste appuyer à fond et bien passer les passages techniques. Mais Jonas n’avait pas assez de puissance. »
Visages fermés dans l’encadrement de l’équipe
Le contrecoup de son violent effort de la veille, peut-être, dans la rampe Saint-Hilaire, où il était parvenu à coller à la roue de Pogacar. Le fait est que les calculs sont à refaire, car si les «Frelons» imaginaient concéder du temps au leader d’UAE sur ce parcours très plat, « on ne s’attendait pas à en perdre autant », admettait Niermann. Une double sanction, d’ailleurs, puisque le leader bis Matteo Jorgenson a lui aussi coincé (11e à 1’ 19’’). « Ce n’est pas ce que j’espérais, je me sentais bien, les données étaient bonnes, mais la vitesse n’était pas vraiment là », ne pouvait que constater l’Américain.
Quatre jours à ferrailler sur des terrains punchy propices au champion du monde, à rouler comme des tambours pour limiter la casse, et craquer à la cinquième étape : la claque fait mal. Elle mettra du temps à être digérée, à en croire les visages fermés, devant le car, du directeur de la performance et spécialiste du chrono Mathieu Heijboer, mutique, au patron Richard Plugge, vite remonté dans sa voiture après avoir encadré des VIP toute la journée.
«Cela ne change rien à notre approche, on continue à aller de l’avant, remotivait le directeur sportif. On a 1’13’’ de retard maintenant, eh bien on doit trouver où reprendre ce temps si Jonas veut gagner le Tour. On repartira au combat demain ( aujourd’hui). » L’écart n’a rien de rédhibitoire, leurs précédents duels se sont joués à bien plus que ça (au minimum 2’43’’ au classement général final, en 2022), et Vingegaard a peut-être connu sa journée sans hier. Mais à l’heure de scruter le moindre signe chez l’un et l’autre, sa carcasse désarticulée sur son vélo est une première alerte.
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