CES MONDIAUX AU PARFUM EXOTIQUE


Avant le Rwanda, plusieurs Championnats du monde se sont déroulés dans des contrées lointaines. Question de promotion du cyclisme, toujours, d’économie, souvent, de géopolitique, parfois. Voyage dans le temps, d’un continent à l’autre, avec plus ou moins

5 Sep 2025 - Vélo Magazine
Par Matthieu Lambert

Du pétrole : le gisement le plus vaste du monde, une industrie nationalisée de fraîche date. Et des idées : montrer, quatre ans après Montréal (voir Vélo Magazine d’octobre 2024), que l’amérique du Sud peut, elle aussi, réussir son Mondial. En cette année 1977, le Venezuela, pays le plus riche d’amérique latine, chouchou de l’agence de notation Moody’s, n’a pas regardé à la dépense pour s’offrir le Championnat du monde. Un vélodrome tout neuf est sorti de terre sur les hauteurs de San Cristobal, ainsi que trois buildings destinés à accueillir les délégations amateurs – les pros logeront dans des motels en périphérie d’une ville choisie pour sa position stratégique : pas trop basse (donc moins sujette au climat tropical), pas trop haute non plus (850 m d’altitude), près de la frontière colombienne, dans un décor de montagne qui rappellera aux Européens les Pyrénées. Si l’accueil de la population (hélas tempéré par l’omniprésence de soldats lourdement armés) est chaleureux, les organismes vont sacrément souffrir. Déjà cramés par le vol pour Caracas, les coureurs patienteront jusqu’à six heures avant qu’un avion militaire ne les conduise à La Fria, d’où des autobus les achemineront à San Cristobal, une odyssée de cinq heures pour accomplir 65 km. Arrivés à bon port, ceux qui se risquent dehors pour une sortie d’entraînement en sont pour leurs frais. Les automobilistes de l’état de Tachira, moins habitués à la cohabitation voiture-vélos que les Parisiens de 2025, occasionnent quelques dégâts : après avoir été percuté par le pare-chocs d’une belle américaine, Roy Schuiten finit à l’hosto ; Gianbattista Baronchelli, jambe fracturée, prend le même chemin pour le même motif. Plaies, bosses, et afflictions paludéennes : Lucien Van Impe contracte une fièvre de cheval.


À San Cristobal, l’italien Francesco Moser 
s’impose au sprint devant l’allemand Dietrich Thurau.

Pour les valides, averses tropicales entrecoupées d’éclaircies, suivies de pluie battante au cours de la dernière heure le jour J. Et la victoire de Francesco Moser devant Dietrich Thurau, dans une atmosphère de polémique – l’allemand, intrinsèquement plus rapide au sprint, a-t-il « fourgué » ? – ainsi qu’une une sévère remise en question de la formule par équipes nationales, tant il devient évident que certains concurrents semblent guidés moins par l’esprit patriotique que par les intérêts de leur employeur le reste de l’année. Les autorités de Caracas ne peuvent être tenues pour responsables de tout cela : ces controverses très « fin des seventies » auraient éclaté n’importe où. Drame de l’exportation.

San Cristobal 1977

Il s’appelle John Trevorrow, il a vu le jour à Melbourne en 1949. Il a été journaliste, marchand de cycles, organisateur de critériums, et surtout pionnier, en s’aventurant dans les pelotons européens à la charnière des années 1970-1980, disputant même un Tour d’italie (81e). Trevorrow a une envie : un Championnat du monde en Australie. Une façon de mettre enfin à l’honneur le pays-continent, hâtivement considéré comme une nation émergente du cyclisme sur route. Un jugement fondé si l’on se réfère à l’effacement de la petite reine face au cricket, au golf, au football australien et au fait que vélo des antipodes se conçoit avant tout sur piste : les grandes villes sont toutes dotées d’un vélodrome.


Un an après le sacre de son champion Cadel Evans, l’australie prouve qu’elle est bien une terre de vélo sur route avec ces Mondiaux 2010.

Mais jugement rapide quand on sait que dès 1914, deux « Aussies », Duncan Kirkham et Iddo Munro, se sont tapés sept semaines de bateau pour être au départ du Tour de France. Que le Championnat d’australie 1909 avait réuni 548 partants. Que le Herald Sun Tour, la course par étapes créée en 1952, séduit les coureurs par son caractère festif – le Tour Down Under, « petit frère » lancé en 1999 a aussi son succès. Que les routiers, pris en main au début de la décennie 1990 par le coach est-allemand Heiko Salzwedel dans le cadre d’un programme de l’australian Institute of Sport (AIS) se sont brillamment exportés. Qu’un projet d’équipe pro financée par le magnat Gerry Ryan sous la bannière Greenedge est dans les cartons. Vu ainsi, l’absence de Mondial en Australie est une anomalie. Réparée avec la tenue de l’événement à Geelong, cité côtière à 80 km de Melbourne, à 20 km de la résidence hors-saison de Cadel Evans, le champion du monde sortant.

Le point de chute idéal aux yeux de John Trevorrow and Co, qui concoctent un circuit aux petits oignons. Au menu, surtout pas de « hot-dog », le sobriquet de ces circuits urbains en forme de saucisse (aller-retour sur grand boulevard, deux virages) qui constituent l’ordinaire des critos. Mais du pimenté : deux côtes toniques, une arrivée en légère montée, qui consacre l’inattendu Thor Hushovd. Malgré son gabarit impressionnant, le Norvégien appartient à la catégorie des sprinteurs passeurs de bosses ; il fait un bien beau champion du monde. Sur la troisième marche du podium, le local Allan Davis couronne la journée, fierté d’une « vraie » terre de cyclisme qui n’en a pas fini avec ses premières fois. L’année suivante, Cadel Evans remporte enfin le Tour de France.

Geelong 2010

Il s’appelle John Trevorrow, il a vu le jour à Melbourne en 1949. Il a été journaliste, marchand de cycles, organisateur de critériums, et surtout pionnier, en s’aventurant dans les pelotons européens à la charnière des années 1970-1980, disputant même un Tour d’italie (81e). Trevorrow a une envie : un Championnat du monde en Australie. Une façon de mettre enfin à l’honneur le pays-continent, hâtivement considéré comme une nation émergente du cyclisme sur route. Un jugement fondé si l’on se réfère à l’effacement de la petite reine face au cricket, au golf, au football australien et au fait que vélo des antipodes se conçoit avant tout sur piste : les grandes villes sont toutes dotées d’un vélodrome.


Un an après le sacre de son champion Cadel Evans, 
l’Australie prouve qu’elle est bien une terre de vélo sur route avec ces Mondiaux 2010.

Mais jugement rapide quand on sait que dès 1914, deux « Aussies », Duncan Kirkham et Iddo Munro, se sont tapés sept semaines de bateau pour être au départ du Tour de France. Que le Championnat d’australie 1909 avait réuni 548 partants. Que le Herald Sun Tour, la course par étapes créée en 1952, séduit les coureurs par son caractère festif – le Tour Down Under, « petit frère » lancé en 1999 a aussi son succès. Que les routiers, pris en main au début de la décennie 1990 par le coach est-allemand Heiko Salzwedel dans le cadre d’un programme de l’australian Institute of Sport (AIS) se sont brillamment exportés. Qu’un projet d’équipe pro financée par le magnat Gerry Ryan sous la bannière Greenedge est dans les cartons. Vu ainsi, l’absence de Mondial en Australie est une anomalie. Réparée avec la tenue de l’événement à Geelong, cité côtière à 80 km de Melbourne, à 20 km de la résidence hors-saison de Cadel Evans, le champion du monde sortant.

Le point de chute idéal aux yeux de John Trevorrow and Co, qui concoctent un circuit aux petits oignons. Au menu, surtout pas de « hot-dog », le sobriquet de ces circuits urbains en forme de saucisse (aller-retour sur grand boulevard, deux virages) qui constituent l’ordinaire des critos. Mais du pimenté : deux côtes toniques, une arrivée en légère montée, qui consacre l’inattendu Thor Hushovd. Malgré son gabarit impressionnant, le Norvégien appartient à la catégorie des sprinteurs passeurs de bosses ; il fait un bien beau champion du monde. Sur la troisième marche du podium, le local Allan Davis couronne la journée, fierté d’une « vraie » terre de cyclisme qui n’en a pas fini avec ses premières fois. L’année suivante, Cadel Evans remporte enfin le Tour de France.

Doha 2016


Dans ce premier Championnat du monde organisé au Moyen-orient, les coureurs ont dû traverser le désert sous une chaleur étouffante… et sans public.

Une toute première au Moyen-orient, mais pas tout à fait un voyage en terre inconnue pour nos globe-trotters du peloton, familiarisés depuis 2002 avec les routes arides du Qatar, le petit État qui ne sait plus quoi faire de ses sous grâce aux revenus du pétrole et du gaz. Et mise massivement sur le sport : en 2016, la monarchie absolue de droit divin, pas spécialement amie des droits de l’homme, a déjà obtenu six ans plus tôt l’organisation de la Coupe du monde de football dans un climat de suspicion. Et puisque l’on cause climat, celui du Qatar est étouffant, des températures insensées même à la mi-octobre, période tardive retenue pour ce Championnat du monde au parcours pour le moins étrange : 154 km de prélude en plein désert, puis un circuit urbain au pied des buildings de Doha, présentant la bagatelle de vingt-quatre ronds-points.

L’UCI ne souhaitant pas passer pour une instance tortionnaire, on zappera purement et simplement la partie désert si le mercure venait à grimper au-delà des 40 °C. Absurde, mais ce Mondial à Doha est celui du vélo-business, l’intérêt sportif ne compte pas. Pourtant, il va y avoir du sport, et pas là où on s’y attendait : lors de la fameuse portion désertique, finalement maintenue. Au km 80, Anglais et Belges provoquent un déflagrant coup de bordure que verront les troupeaux de chameaux et les abonnés de bein Sports, la chaîne qatarie seule à émettre si tôt. Ils sont 25 à l’avant, terminé, bonsoir. Restés dans la caillasse : les Français, becs dans le sable, même si le valeureux William Bonnet (8e) a pu accrocher le bon wagon. On se demande bien ce que ça aurait pu donner si Nacer Bouhanni et Arnaud Démare avaient vu Doha avec le groupe de tête – refusant de trancher, le sélectionneur Bernard Bourreau, a emmené les deux sprinteurs rivaux au pays de l’or noir, plus leurs poissons-pilotes respectifs, bonjour la cohésion.

Coup de bol pour L’UCI : ce Championnat du monde sans queue ni tête est remporté par Peter Sagan, la parfaite caution « qualité » de la course au maillot arc-en-ciel. Déjà, l’année précédente, le Slovaque avait sublimé le « cri-cri » de Richmond (États-unis) sur un circuit indigne d’un tel événement. Malgré tous ces artifices, il est une chose que le Qatar ne peut s’offrir : la ferveur populaire. D’un point de vue engouement, Doha 2016 est un fiasco cuisant. Les staffs techniques, une poignée de supporters européens exceptés, le public a surtout brillé par son absence.

Colorado Springs 1986


Au pied des Rocheuses, Laurent Fignon s’est essayé 
à la mode locale en enfilant une veste en jean.

Il faut se figurer un gros campus sportif, l’équivalent de notre INSEP. Mais à 1 800 m d’altitude, dans l’état du Colorado, sur une base de L’US Air Force : le centre olympique de Colorado Springs. Rebecca Twigg, la hobo du vélo, y a posé son sac – un peu de stabilité au cours d’une vie d’errance. Les éternels nomades que sont les cyclistes vont y disputer un insolite Mondial, au pied des montagnes Rocheuses. Après le triomphe canadien (1974), le demi-succès vénézuélien (1977), les Étatsunis voulaient « leur » Championnat, dans un contexte d’éveil progressif au cyclisme. Il y a un moment que ça infuse : 1,8 million de pratiquants réguliers en 1986, ils étaient trois fois moins en 1975.

La Red Zinger Bicycle Classic, première épreuve par étapes dans les années 1970, devenue Coors Classic, a suffisamment retenu l’attention du public pour donner envie aux journalistes US de couvrir le Tour de France. Un Tour que Greg Lemond, fer de lance de ce nouveau cyclisme, vient de remporter, joli sens du timing. On pédale, et on consomme : d’après la Bicycle Federation of America, plus de 78 millions d’américains possèdent une bicyclette, les utilisateurs ont claqué 2 milliards de dollars en vélos et accessoires pour la seule année 1984. La promesse d’un marché immense, à l’heure où le mountain bike pointe le bout de son guidon cornu ; une conquête de l’ouest dont les constructeurs européens entendent profiter, Bernard Tapie le premier : le patron de Look compte écouler des cargaisons de ses pédales automatiques. Vu ainsi, le point de chute de ce Mondial 86 apparaît logique, le reflet de l’air du temps.

Las, cet événement débuté en grande pompe – lors de la cérémonie d’ouverture, les pilotes de chasse défilent avant la parade des personnages de Disney – se révèle décevant sur le plan sportif. Au terme d’une journée frisquette, Moreno Argentin l’emporte devant Charly Mottet, le sprint du peloton, fort encore de 68 unités, est réglé par Giuseppe Saronni. Lemond, seulement 7e, ne peut sauver un bilan américain pas folichon – malgré son statut de favorite, Rebecca Twigg s’est inclinée en poursuite individuelle face à Jeannie Longo (victorieuse également sur route).

Surtout, les spectateurs ont brillé par leur absence : entre 10 et 15 000 pour la course en ligne messieurs, ce qui permet aux vieux cocos pas du tout repentis du mensuel Miroir du cyclisme d’ironiser. Ces éternels pourfendeurs du capitalisme auraient sans doute préféré voir les coureurs tourner autour de la place Rouge. Ils peuvent toujours attendre.



Utsunomiya 1990


Pour une première en Asie, ces Mondiaux 90 sont un vrai succès populaire grâce, 
notamment, à la sélection japonaise, avec ici Kazuya Hashizume.

Pour paraphraser un président de la République française féru de compétitions de sumos, « Utsunomiya, c’est beau, mais c’est loin. » C’est pourtant la capitale de la préfecture de Tochigi, à 120 km environ au nord-est de Tokyo, qui accueille les Championnats 1990, une toute première sur le continent asiatique, à une époque où l’on parle beaucoup de mondialisation du cyclisme. Qui dit Japon dit keirin, Shimano ou Koichi Nakano, le décuple champion du monde de vitesse. Mais en 1990, le cyclisme sur route demeure conceptuel au pays du Soleil-levant. Pourtant, les officiels locaux ont tracé un très beau circuit en bordure des rizières, avec une bosse de 2,4 km à 6,3 % serpentant dans une forêt de sapins : le mont Kogashi, au menu à dix-huit reprises.

Rien d’insurmontable pour les tenants de la vieille Europe – la difficulté culmine à 331 m d’altitude. Le souci pour les délégations favorites (France, Italie, Belgique, Paysbas), réside dans ce climat subtropical humide auquel les coursiers ne sont pas habitués et un décalage horaire à vous dérégler une mécanique de précision. Les Italiens n’ont pas négligé le problème : toute la délégation a posé ses valises au Japon à J-15 de l’événement. Les Belges, restés chez eux, se plient aux directives militaires du sergent instructeur-sélectionneur Eddy Merckx : au lit 19 heures, debout 4 heures du mat’, pour encaisser le rythme nippon, une discipline payante puisque Rudy

Dhaenens et Dirk De Wolf feront « un » et « deux ». Afin de s’épargner les fatigues du trajet routier et embouteillé Tokyo-utsunomiya, Greg Lemond affrète pour sa part un hélico. Les Français, dont les dirigeants sont convaincus de l’impossibilité de s’entraîner dans le trafic japonais, se pointent dans la ville jumelée de fraîche date avec Orléans... Trente-six heures seulement avant le coup d’envoi, résultat catastrophique à la clé : Martial Gayant, notre meilleur représentant, termine 18e.

Toujours moins ridicule que les Néerlandais en déroute, dont la moitié de l’effectif abandonnera avant la mi-course, laminée par la chaleur moite, le taux d’hygrométrie avoisinant les 95 %. Heureusement, Catherine Marchal avait fait mieux que sauver l’honneur tricolore en conquérant le maillot arc-en-ciel la veille de la course messieurs. Dans les annales irisées, ces insolites et éprouvants Mondiaux restent un joli succès public : 120 000 spectateurs pour l’épreuve hommes, satisfaits des performances des obscurs Kyoshi Miura (51e) et Masatoshi Ichikawa (57e et dernier). Surtout, ils ont planté une graine : depuis 1992, chaque mois d’octobre, la Japan Cup « recycle » le circuit d’utsunomiya, devenu un haut lieu du cyclisme. 

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