Bardet, coureur doudou
Les supporters du coureur français, pour sa dernière sur le Tour, ont animé avec une spontanéité pudique un virage sur les terres du champion auvergnat. À son image.
11 Jul 2024 - L'Équipe
TEXTE : YOHANN HAUTBOIS PHOTOS : ÉTIENNE GARNIER
Bardet, coureur doudou
"C’est notre coureur, celui de l’Auvergne.
Un garçon humble, simple,
qui représente bien notre région"
- FLOREN'T, S'UPPORTERS FRANÇOIS ET AUVERGNATS
"On sait qu’il ne voulait pas mais on
l’a quand même fait parce
qu’on est amoureux de Romain"
- MARIUS, L’UN DES SUPPORTERS
LE PUY MARY (CANTAL) – L’endroit lui ressemblait, finalement. Bon enfant mais pudique, souriant mais propre sur lui, le virage Bardet dans le puy Mary avait les traits, hier, d’une jolie sarabande, presque adolescente puisque toute l’organisation, improvisée et non-commerciale (c’est à saluer), a reposé sur les épaules d’Emma et Louis (16ans) sans qu’aucun débordement ne vienne entacher la rencontre entre le champion auvergnat et ses supporters. «On a eu l’idée un mardi soir avec Emma, on travaille dessus depuis deux semaines, expliquait Louis, quelques minutes avant que les premiers coureurs n’attaquent le col de Néronne, un peu plus bas. On a créé ensuite un groupe avec huit ou neuf personnes, des gens de région parisienne, un gars d’Issoire, un autre de Toulouse et d’Annecy. Pourquoi on fait tout ça ? Par amour pour Romain. Il nous a fait vibrer sur le vélo, à nous de le faire vibrer.»
L’équipe Magic Bardet était (bien) née même si la fièvre est montée doucement, des routes de la Creuse avec quelques panneaux épars et minimalistes (« Merci Romain») jusqu’à l’épicentre selon un cheminement multicolore dessiné par des litres de peinture sur les ultimes pentes du puy Mary.
De simples «Romain» en vert, en rouge, en jaune, d’une beauté simple et sans chichi comme la région, une douce folie qui correspond aussi à la personnalité du quadruple vainqueur d’étapes du Tour: «C’est son dernier Tour et on voulait être là pour lui, récitaient en choeur François et Florent, une bière à la main et quelques-unes en plus dans le sang. C’est notre coureur, celui de l’Auvergne. C’est un garçon humble, simple, qui représente bien notre région. » Un peu plus bas, au coeur de l’épingle, Nicolas, déguisé en prêtre dégarni, était venu sanctifier la dernière de Bardet sur le Tour, pas à l’eau bénite lui non plus. Le Normand se disait touché par sa personnalité: «Il est honnête avec lui, il est honnête avec nous. Il est sur le vélo comme dans la vie.»
Mais tous ont une histoire sportive avec lui, aussi, une première qui les a marqués au fer, quand ils étaient mômes. Pour Louis, «c’est en 2015, j’avais 7ans lorsqu’il gagne sa première étape sur le Tour ( à SaintJean-de-Maurienne) même si la plus belle, c’est deux ans plus tard, à Peyragudes quand il met 25 secondes à Froome( 7e à22 sec.).» Il raconte les derniers hectomètres de son champion avec les yeux qui brillent, se rappelle l’avoir croisé dans Brioude sans lui avoir parlé ( « j’habite à Champagnac-levieux, à quinze minutes» ) quand Nicolas, le curé pas très catholique, se souvient avoir vu «le gars du coin pour la première fois en 2013 sur une étape de Paris-Nice qui arrivait à Brioude. Il avait fini 6e, je n’ai jamais oublié.»
Évidemment, il est compliqué de passer à côté de la comparaison avec le virage Pinot, l’an dernier, qui baignait dans la folie depuis plusieurs jours, orchestré par une efficace opération de communication aussi mais qui colle avec les trajectoires des deux coureurs français, l’un né pour les fulgurances et les chevauchées romantiques, l’autre longtemps dédié au classement général (2podiums du Tour), aux calculs et à la mesure qui vont avec. Marius ne s’offusquait pas, ainsi, qu’on trouve le virage en hommage à Bardet moins délirant que celui dans l’étape du Mark stein il y a un an :« Plus chaud, moins chaud, on ne cherche pas à se comparer. L’organisation a tenu grâce à des mineurs et au grand public. On n’a pas acheté d’écharpes, on n’a pas fait venir un bus de Paris, on s’est débrouillés tout seuls et ça, c’est beau. »
Pas sûr que Bardet aurait apprécié un grand barnum sponsorisé ( « Romain n’a jamais été attiré par les caméras», souligne Marius) et l’été dernier, le leader de DSM n’avait exprimé aucune jalousie à l’égard de son homologue de Groupama-FDJ. Au contraire, il semblait mal à l’aise à l’idée qu’on lui exprime à son tour une telle passion: «On sait qu’il ne voulait pas mais on l’a quand même fait parce qu’on est amoureux
de Romain», glissait encore Marius. Mais hier, malgré les aléas de sa course, l’Auvergnat a pris le temps de profiter du moment, il a viré au large et au ralenti, tendu sa main vers d’autres qui n’attendaient que ça, toucher l’idole d’une jeunesse et d’une vie entière puisque les organisateurs, pour la plupart, étaient à peine nés quand Bardet a commencé sa formation de coureur cycliste en 2010. Ce qui explique probablement la pudeur de l’expression de leurs sentiments, spontanés et maladroits, sans excès. Quand un gendarme demanda à la foule de prendre ses distances, Marius s’empara du mégaphone, sûr de lui: «Les gars, on recule, on fait attention à la sécurité.»
La veille, les «GO» avaient reçu un coup de fil de Pierre-Yves Thouault ( « le numéro 2 du Tour quand même») pour leur rappeler justement les règles de bienséance mais le directeur adjoint du cyclisme chez ASO n’avait pas vraiment à s’inquiéter du déroulé de la journée selon Nicolas, notre prêtre toujours dégarni: «Cela a été assez calme jusqu’à 10heures car les gens ont pas mal galéré pour accéder jusqu’ici. Mais depuis, l’ambiance est incroyable.» Son homélie s’étouffa dans les chants de stade ( « Qui ne saute pas n’est pas Romain») puis de la Marseillaise alors que la voiture d’UAE Emirates avait trouvé refuge derrière cette chaîne humaine, prête à assister Tadej Pogacar, fossoyeur des ambitions du coureur doudou de plusieurs générations.
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