Doute immiscé - Décollage assuré


Alors qu’il espérait lui mettre la tête sous l’eau, Tadej Pogacar a été battu par son rival danois de peu. Ce qui pourrait compter dans la bataille psychologique qu’ils se livrent depuis le départ.

"À environ un kilomètre du sommet, 
j’ai vu que Jonas revenait, 
il volait littéralement. 
Ça m’a un peu surpris, 
j’ai préféré l’attendre, 
me reposer un peu alors que j’aurais 
pu pousser à fond jusqu’au sommet 
et je serais peut-être resté devant…''
   - TADEJ POGACAR

11 Jul 2024 - L'Équipe
YOHANN HAUTBOIS

LE LIORAN (CANTAL) – À force de lui mordiller ses mollets évanescents ( « Je m’en souviendrai » , après que Jonas Vingegaard n’a pas voulu le relayer lors de l’étape des chemins blancs), de lui chatouiller l’ego lors des points presse ( « je n’ai pas peur de Jonas» ), Tadej Pogacar a peut-être réveillé chez le Danois des instants primaires de viking, assoiffé de conquête d’un troisième Tour, seulement quelques mois après sa chute terrible lors du Tour du Pays Basque (lire ci-contre). Peut-être aussi que les cinq centimètres qui les ont séparés hier sur la ligne, dans la station du Lioran, vont nourrir la bataille autant physique que psychologique que se livrent depuis le début du Tour les deux leaders et même les deux formations.Tadej Pogacar, le Maillot Jaune, est dans le doute, tout le contraire de Jonas Vingegaard, qui a démarré sa remontée.

Avec le maillot jaune sur le dos, le Slovène a encore de la marge (1’14’’ au classement général), une dynamique qui le porte depuis le Giro gagné en mai, mais comme le rappelait son coéquipier chez UAE Team Emirates Tim Wellens, « deuxième ce n’est pas mal, mais on n’a pas l’habitude. Tadej a essayé à la fin, il se sentait bien, il court toujours comme ça et il fallait prendre les bonifications. Il va être déçu bien sûr, il n’a pas l’habitude de ne pas gagner quand il arrive comme ça. Il va analyser tout ça, peut-être Jonas était mieux aussi.» Sûrement que le numéro1 de Visma-Lease a bike est mieux que les prédictions établies après ses graves blessures, mieux que les discours délayés par les Frelons depuis Florence et face auxquels les membres d’UAE jurent ne pas avoir été dupes, à en croire Pavel Sivakov.

Pour le coureur français, le plan de la formation émirienne était parfait ( « On a mis un gros rythme, Tadej a pris un peu plus de temps dans la descente » ) mais une donnée leur échappait: la forme de Vingegaard. «Il avait les jambes pour revenir, il était vraiment très fort après avoir un peu joué les victimes au départ du Tour, souriait Sivakov. On a très bien vu aujourd’hui qu’il serait un rival sérieux pour le maillot jaune. »

Dans dix jours à Nice, on saura si la bascule psychologique s’est jouée sur les toboggans de l’Auvergne, comme elle avait été définitive après le contre-lamontre de Combloux (Haute-Savoie) il y a un an, si Pogacar a présumé de ses forces et si le vainqueur des deux derniers Tours ne lui a pas grignoté tranquillement le cerveau en le désignant super favori de l’été pendant qu’il jouait un Calimero rafistolé. Si Fernandez Matxin, le directeur sportif, n’élude pas l’échec de la journée ( « le bilan n’est pas super, on voulait gagner l’étape et reprendre du temps, ce n’est pas le cas» ), il refuse d’alimenter l’idée que le rapport de force et de crainte est inversé: «Tadej a perdu une seconde aujourd’hui, il est relax, il reste le leader.» Un Maillot Jaune assis sur un bon petit matelas mais avec l’incertitude de sa forme, de celle de son adversaire quasi unique, dans une logique de courbes qui pourraient se croiser en troisième semaine. Justement, Sivakov ramenait les oracles à leurs prévisions d’il y a dix jours quand le Tour devait être plié en 48 heures: «Oui, il y aura une grosse bataille dans les Pyrénées et ensuite aussi jusqu’à Nice.»

Le Slovène ne disait pas autre chose quelques jours avant le départ ( « Les trois derniers jours vont être très très difficiles» ) et, hier, il a tenu à minimiser sa «défaite» au cours d’un sprint où il n’a pas semblé avoir la giclette nécessaire pour déposer le Danois, le dernier à l’avoir battu dans cet exercice (en 2019) : « C’était simplement un sprint après une course très très dure. Jonas était très fort aujourd’hui ( hier), il a été cinq centimètres plus rapide que moi et il mérite cette victoire. Bravo à lui. » Le compliment – certes minimaliste – est assez rare dans la bouche du leader pour être souligné et indique qu’il va maintenant concentrer ses seules attaques sur la route, fidèle à la tactique de sa formation selon Joao Almeida, peu utilisé hier: «La tactique était simple, attaquer. On a gagné du temps sur les autres adversaires, c’est le plus important, et on essaiera d’en reprendre sur Jonas. L’équipe a fait un super boulot, on recommencera.» Sans douter des capacités de rebond de son leader: «J’ai confiance en lui.»

Le vernis de sa toute-puissance s’est néanmoins écaillé et le coureur de Komenda a confié après l’étape ne pas avoir su où situer la distance avec le sommet de puy Mary: «J’étais un peu confus. À environ un kilomètre du sommet, j’ai vu que Jonas revenait, il volait littéralement. Ça m’a un peu surpris, j’ai préféré l’attendre, me reposer un peu alors que j’aurais pu pousser à fond jusqu’au sommet et je serais peut-être resté devant…» Mais il ne l’a pas fait et, au contraire, les cuisses en feu, il a laissé son adversaire prendre le manche dans le dernier kilomètre, ce qui ne lui ressemble pas. Au final, il a perdu l’étape pour cinq centimètres et, au jeu des bonifications, lâché une seconde qui pourrait compter dans les prochains jours.

***

Décollage assuré 

Jonas Vingegaard a battu le Slovène au sprint pour la première fois hier, plus confiant que jamais en son plan de tout renverser en haute montagne.

Des chaussettes à l’effigie de sa femme et de sa fille et coucous aux spectateurs: la légèreté l’imprègne

PIERRE MENJOT

LE LIORAN – Les cris de joie et checks bien bruyants ont résonné au milieu des puys d’Auvergne hier. Mais c’est surtout de larmes qu’il était question. Celles de Jonas Vingegaard, retenues, sitôt la ligne d’arrivée du Lioran franchie en vainqueur, une demi-roue devant Tadej Pogacar, puis après avoir parlé avec sa femme Trine. Celles de Frans Maassen, aussi. Lui ne cachait rien. «Merde, je n’arrive même pas à parler » , sanglotait-il. Le directeur sportif des VismaLease a bike était là le 4avril, dans la descente d’Olaeta, accroupi au côté du Danois, en position latérale de sécurité après une gravissime chute qui lui causa des fractures aux côtes, à une clavicule, un pneumothorax et une contusion pulmonaire. «J’ai vraiment cru que j’allais mourir» , a lâché Vingegaard hier. « Sa chute était si grave, la semaine à l’hôpital a été terrible, j’ai été tellement mal pour lui, disait Maassen. Ce qu’il fait est vraiment incroyable.»

Ce qu’a fait son coureur hier? Gagner une étape du Tour, en duel avec son rival slovène, ce qu’il n’avait jamais réussi jusqu’ici. Et cela alors qu’il accusait jusqu’à 30 secondes de retard sur le Maillot Jaune après la redescente du pas de Peyrol, où il avait cédé dans les derniers hectomètres. Avant de recoller dans le col de Pertus. « Être lâché puis revenir sur l’un des meilleurs coureurs du monde et gagner, chapeau, c’est impressionnant de voir cette résistance mentale» , appréciait son équipier belge Tiesj Benoot. «C’est peut-être la plus belle victoire qu’il n’a jamais eue, appuyait Grischa Niermann, l’autre directeur sportif, qui n’a cessé de le motiver dans l’oreillette. Il s’est battu comme un champion, c’était impressionnant.»

C’était comme avant, quand les deux meilleurs ennemis s’affrontaient sur le Tour depuis trois ans, une partie de pingpong que beaucoup n’envisageaient pas cet été. Le premier week-end italien, où Vingegaard tint tête à son adversaire, offensif dans la montée de San Luca, fut positif, mais la suite avait été à son désavantage, en montagne dans le Galibier comme en chrono à travers les vignes (voir ci-contre). L’étape des chemins blancs, dimanche, avait en plus révélé un Danois suiveur, voire petit joueur, concentré sur une chose: ne pas lâcher une seconde de plus au Maillot Jaune. Et attendre son heure. Qui est peut-être en train de venir.

« Pour être honnête, je ne peux pas croire que je puisse atteindre ce niveau, s’étonna-t-il hier. J’ai seulement un mois et demi de véritable entraînement, car j’ai dû d’abord prendre beaucoup de repos tellement mes blessures étaient mauvaises. Je ne joue pas à la victime, j’en suis une. En venant d’où je viens, je ne pense pas que beaucoup de gars auraient pris le départ du Tour. Alors une victoire d’étape sur la plus grande course du monde, c’est incroyable.» Son patron Richard Plugge parla de «rédemption» , répétant sa fierté et son admiration : «Ça fait de lui une légende encore plus grande que je pensais.»

Légende ou pas, c’est un nouveau Vingegaard qui avance sur ce Tour. Après le Jonas hésitant et stressé des débuts, ce qui ne l’empêcha pas de l’emporter en 2022, et le coureur plus sûr de lui et plus leader l’an passé qui a signé le doublé, voici désormais un homme de 27ans très relâché, qui fait coucou aux spectateurs durant sa récupération devant le car de l’équipe, porte des chaussettes à l’effigie de sa femme et de sa fille et aborde tout avec une légèreté certaine. «La chute a changé ma perception, je suis heureux d’être en vie et d’être ici» , affirmait-il lundi.

Elle n’a en revanche pas changé grandchose à son niveau, et c’est là la grosse surprise. Après onze étapes, même si Remco Evenepoel s’est intercalé au classement général (à 8 secondes de Vingegaard), il est le rival numéro1 de Tadej Pogacar, qui a jugé hier que le Danois «était dans la meilleure forme de sa carrière» . À l’évocation de ces propos, le vainqueur de l’étape sourit, y répondit à peine, mais ses équipiers le firent pour lui.

«J’étais déjà confiant à 100% dans le fait qu’il pouvait gagner le Tour, donc ça ne change pas grand-chose» , assurait Matteo Jorgenson, un peu court pour aider son leader (16e à 4’39’’), tandis que Wout Van Aert avait chuté sans gravité dans une descente avant l’emballage final. «Je sais de quoi il est capable, poursuivait l’Américain, il est toujours incroyable quand les montagnes arrivent et j’imagine que cette victoire est un soulagement. Oui, c’est un message envoyé, même s’il n’a pas repris beaucoup de temps, mais ça va changer vraiment son état d’esprit.»

Les directeurs sportifs évoquèrent «un énorme boost» , pour Maassen, «un très gros avantage mental, même si Pogacar garde une énorme avance (1’14’’ au classement général) » , pour Niermann, quand leur coureur imaginait « un tournant» , alors que les Pyrénées et les Alpes sont à venir. « J’espère, mais pas seulement pour cette course, pour toute notre saison, après toute la malchance qu’on a eue. Là, j’espère qu’on peut regarder devant nous et faire ce qu’on fait normalement. » Gagner. Comme hier. Comme avant.

***


Evenepoel s’accroche, Roglic glisse

Ils ont travaillé ensemble dans le col du Pertus et préservé leurs places au général. 
Mais si l’un s’est accroché, l’autre a chuté dans le final.

"En ce moment, j’ai beaucoup plus de problèmes en montée qu’en descente"
   - PRIMOZ ROGLIC

PIERRE CALLEWAERT et RÉGIS DUPONT (avec P. ME.)

LE LIORAN (CANTAL) – À voir les UAE rouler assez tôt dans l’étape, Klaas Lodewyck, manager sportif de Soudal-Quick Step, «s’attendait à la guerre entre leaders» dans le Massif central. Restait à leur leader à encaisser les coups, suivre son plan et limiter les dégâts: «Sur ce point, il s’en tire très bien. Il prend du temps sur certains, il finit troisième. » Dès l’attaque de Tadej Pogacar dans les pentes les plus raides du pas de Peyrol, à 17km de l’arrivée, Remco Evenepoel a conservé son rythme sans se mettre en surchauffe, laissant aussi filer Jonas Vingegaard: «C’était impossible de les suivre, dit-il, mais je savais qu’ilyavaitunebossede4,3km( lecolduPertus) après la descente et une distance suffisante pour recoller avant l’arrivée.» Il est revenu à son rythme, après une descente sous contrôle, jusqu’à rejoindre Primoz Roglic. «On a travaillé ensemble mais je l’ai lâché quand il a chuté.» À l’arrivée, content de sa «bonnejournée», il n’accuse qu’un retard de25secondesetpointeà1’6’’augénéral,à la deuxième place. Satisfait que son leader ait repris du temps à Pogacar après avoir compté jusqu’à 50 secondes de retard, Tom Steels, son directeur sportif, se réjouissait d’une perte limitée: «On est venu sur le Tour pour viser le top 5 donc je pense qu’on a fait un pas en avant vers le podium ou le top 5, assure Lodewyck. Maintenant, on a encore pas mal de côtes assez dures et assez longues mais on est toujours dans la bagarre. À chaque étape, si on peut prendre du temps à n’importe qui, il faut le prendre, même 10 ou 5 secondes.» Sur son état de forme, Lodewyck s’en remet à l’évidence: «Si vous finissez troisième derrière Vingegaard et Pogacar, vous n’avez pas de quoi vous inquiéter.»Remco Evenepoel (maillot blanc) et Primoz Roglic n’ont pu suivre le duo Pogacar-Vingegaard hier dans le Cantal.

C’est exactement la théorie développée par le staff de Roglic.Tombé à moins de deux kilomètres de l’arrivée dans une épingle à gauche, sans autre explication mécanique qu’une route humide, le Slovène a regagné son car avec le genou écorché pour unique dommage. Les commissaires ont appliqué la règle des trois kilomètres, comme l’espéraient les dirigeants de Red Bull Bora - Hangsrohe. Cela le maintient à la quatrième place, à portée d’un podium dont la troisième marche semble accessible. «On a le sentiment qu’il était le troisième plus fort aujourd’hui (hier), c’est un bon résultat, on est toujours là» , a affirmé son manager, Rolf Aldag, déroulant le même discours qu’ Enrico Gasparotto. Le directeur sportif est venu s’exprimer devant les médias après avoir longuement analysé, avec son leader, la fameuse chute à l’approche du Lioran. «Le principal, c’était de voir Primoz rentrer à vélo au car de l’équipe et de voir que tout va bien. Ce n’était que la deuxième étape de montagne du Tour, on est dans le jeu, un grand Tour c’est trois semaines et Primoz a gagné le dernier Giro dans les deux dernières étapes.» Il y a quelques jours, le Slovène assurait, en souriant: «Je ne pense pas à ma chute au Tour du Pays Basque, je me sens en confiance dans les descentes. En ce moment, j’ai beaucoup plus de problèmes en montée qu’en descente.» C’est d’ailleurs dans celle menant au col du Pertus qu’il a recollé, un temps, à Vingegaard. Mais sa glissade dans la roue d’Evenepoel ressemble à celle d’un coureur pas plus confiant que ça.

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