UN GÉANT EST MORT - Deux carrières et mille vies
UN GÉANT EST MORT
23 Mar 2025 - L'Équipe
ANDRÉ-ARNAUD FOURNY
Pour devenir une légende des rings, George Foreman, décédé vendredi (21/3/2025) à Houston, a emprunté deux chemins bien différents. Champion olympique puis champion du monde des lourds avant sa défaite contre Muhammad Ali en 1974, il allait raccrocher les gants en 1977 et devenir pasteur. Après dix ans d’interruption, il entamait un incroyable come-back. Toujours aussi puissant, mais devenu cette fois aimé du grand public.George Foreman envoie au tapis Joe Frazier dès le deuxième round à Kingston, en Jamaïque, le 23 janvier 1973, pour devenir champion du monde pour la première fois de sa carrière.
Le 30 octobre dernier, George Foreman avait diffusé sur ses réseaux sociaux une photo le montrant assis dans un fauteuil, souriant, en train de manger un gâteau, avec ces quelques mots : « Imaginez, il y a 50 ans, le “Rumble in the Jungle”, combattant Muhammad Ali. Repensant au meilleur moment de ma vie. Célébrez avec moi avec une part de gâteau, alors que je revis le rope-adope (la tactique d’Ali s’appuyant dos aux cordes) .» Sa mort, à 76 ans à l’hôpital de Houston, annoncée par sa famille vendredi soir, a donc littéralement mis K.-O. le monde de la boxe. Les causes de son décès n’ont pas été révélées, le milieu ne le savait pas malade. Aussitôt, les témoignages ont afflué, dont celui de Mike Tyson, toujours passionné pour les boxeurs du passé : « Sa contribution à la boxe et au-delà ne sera jamais oubliée... »
Mais Foreman aura connu deux carrières bien distinctes sur les rings.S’il a remporté de grandes victoires au point d’apparaître à la 8e place de notre classement des meilleurs lourds de l’histoire (voir L’Équipe du 31 décembre 2024) derrière Ali, Joe Louis, Rocky Marciano, Evander Holyfield, Tyson, Lennox Lewis et Larry Holmes, mais devant Joe Frazier ou Jack Dempsey, il n’était pas aimé lors de la première. Durant la seconde, il allait réussir à toucher le grand public, comme peu de boxeurs y sont parvenus, conservant son punch lors de son come-back, avec une tout autre mentalité.
Comme il l’a raconté dans son autobiographie By George (1995, Villar Books, New York), ce changement relève d’une conversion. Au sens propre du mot. Battu aux points par son compatriote Jimmy Young, le 17 mars 1977 à San Juan (Porto Rico) après douze durs rounds, il se sent mal dans son vestiaire surchauffé après le combat et se met à se parler à lui-même : « Tout va bien, George. Tu n’as plus à te soucier de ce combat. Tu peux arrêter la boxe si tu veux. (…) Tu as tout ce que tu veux. Tu peux arrêter et mourir. » « Alors une voix a interrompu mes pensées, écrit-il. Bien qu’elle soit dans ma tête, ce n’était pas la mienne : “Tu crois en Dieu. Alors pourquoi es-tu effrayé de mourir ?” » Allongé sur la table de massage, il se voit mourir, avant de revenir à la vie. « Jésus Christ est vivant en moi ! », crie-t-il à ses entraîneurs qui, inquiets, l’entourent.
Un retour à la compétition à 38 ans au quel personne ne croyait
Dans son autobiographie, il reconnaît aussi n’avoir pas été jusque-là un croyant. Son malaise fait de lui un autre homme. Il décide de se consacrer à Dieu et abandonne la boxe. Champion olympique en 1968– son petit drapeau américain agité sur le podium quand Tommie Smith et John Carlos brandissaient le poing pour protester contre la ségrégation, avait suscité la colère des Noirs aux États-Unis –, puis champion du monde des lourds de janvier 1973 au fameux 30 octobre 1974, il se retire alors avec 45 victoires et 2 défaites. Pour toujours, s’imagine-t-il...
À Houston, il se met à prêcher, devient pasteur de l’Église du Seigneur JésusChrist, ouvre un centre pour les jeunes. Pour le financer, dix ans après sa première retraite, il décide de… remonter sur un ring ! À 38 ans, avec 17 kilos de plus que lors de son dernier combat, il entame un come-back en mars 1987 sous les quolibets car Mike Tyson règne alors sur la caté
gorie. S'il accumule les victoires avant la limite (23 sur 24 succès d'affilée), personne ne le prend au sérieux, car il n’affronte que des losers. Persévérant, il suscite à nouveau l’intérêt des télévisions notamment par sa bonhomie, sa sympathie, tandis que Tyson, lui, apparaît désormais régulièrement dans la rubrique des faits divers. Le champion du monde, Evander Holyfield, accepte alors de l’affronter le 9 avril 1991 à Atlantic City (New Jersey).
De l’avis de tous les experts, il sera, à 42 ans, une proie facile pour Holyfield. Pourtant il ne s’incline qu’aux points. Enfin pris au sérieux, il remporte trois nouvelles victoires face à de bons adversaires, avant de céder encore une fois aux points contre Tommy Morrison, celui-là même qui partageait la vedette avec Sylvester Stallone dans le film Rocky V. Mais plus populaire que jamais, « Big George » est néanmoins choisi comme challenger du champion IBF, alors considéré comme le véritable champion du monde, l’invaincu Michael Moorer, plus jeune de 19 ans. Le 5 novembre 1994, à Las Vegas, logiquement mené aux points, Foreman réussit pourtant à le mettre K.-O. au dixième round. À 45 ans, il devient le plus vieux champion du monde des lourds de l’histoire.
Il conservera trois fois son titre aux points – la première contre l’Allemand Axel Schulz, après quoi l’IBF le destituera, Foreman ne voulant pas lui accorder une revanche – avant d'être déclaré battu par les juges, alors qu’il semble avoir gagné, contre Shannon Briggs, le 22 novembre 1997 à Atlantic City. Il raccroche cette fois définitivement les gants, mais désormais consultant pour la chaîne HBO, il continue à fréquenter les rings. Si son come-back a bien rempli son compte en banque, un grill l'enrichira encore plus, en 1994. Entre les pourcentages sur chaque vente et les droits pour céder son nom, on estime que cela lui a rapporté plus de deux cents millions d’euros ! Une réussite incroyable pour celui qui, adolescent, attaquait les passants pour leur voler leur portefeuille.
Abonné aux petits boulots à l’adolescence
Car à Houston, où il a grandi avec six frères et soeurs (il est né le 10 janvier 1949), la vie n'était pas facile. Pour faire vivre sa famille, sa mère, cuisinière, occupait deux emplois, sept jours sur sept. Les vols à l'arraché de Foreman cesseront pourtant lorsqu'il verra, à 15 ans, l’une de ses victimes appeler la police - une démarche inhabituelle pour les habitants de son quartier -. Il n'en devient pas pour autant un ange et, quand on lui demande, il ne rechigne pas à casser la figure aux ados qu'on lui désigne. Sans recevoir d'argent en contrepartie, et sans savoir pourquoi, écrirat-il dans ses mémoires.
Abonné aux petits boulots, notamment dans le restaurant où sa mère travaillait – il a quitté l'école à 15 ans – l'une de ses soeurs lui conseille d’intégrer le programme « Guerre contre la Pauvreté », mis en place par le Président des ÉtatsUnis, Lyndon Johnson, qui offre une rémunération pour apprendre un vrai métier. Mais au bureau de recrutement, Foreman est recalé, il n'a pas 18 ans. On lui propose alors d’intégrer le Job Corps, qui offre aux enfants en difficulté une seconde chance. Il aura trois repas par jour, trente dollars par mois et des cours.
Après six mois dans un camp dans l’Oregon, il est envoyé pour deux ans dans un autre en Californie, où il découvre la boxe et dispute ses premiers combats. Puis il cherche un emploi dans l’électronique. Sans succès. Impliqué dans une bagarre en état d'ivresse, il retourne dans le camp du Job Corps en Californie, où on lui conseille de reprendre la boxe et de viser la sélection pour les Jeux de 1968. Malgré son peu d’expérience – selon lui, il ne comptait que cinq combats –, il progresse sous la direction de l’entraîneur Dick Sadler et réussit à se qualifier. À Mexico, il remportera ses quatre combats et la médaille d'or.
Champion olympique des lourds à 19 ans, il passe naturellement professionnel. Grâce à sa puissance, il aligne 37 victoires (dont 35 avant la limite), mais avant son combat contre le champion du monde, l’invaincu Joe Frazier, tout auréolé de sa victoire sur Muhammad Ali, il n'est pourtant pas favori. Contre toute attente, ce 22 janvier 1973, il l’envoie pourtant six fois à terre et Frazier est arrêté au deuxième round.
Une de ses filles a fait une éphémère carrière de boxeuse
Après deux défenses victorieuses, notamment contre Ken Norton pulvérisé en deux rounds, Foreman est cette fois le grand favori du combat prévu contre Ali, le 30 octobre 1974 à Kinshasa (République démocratique du Congo, ex-Zaïre). Un combat qui deviendra mythique (voir page 38)... Au huitième round, Foreman est mis K.-O. Les spectateurs encouragent son adversaire aux cris de « Ali Boma ye (Ali, tue-le !) »... Initialement, le combat était prévu le 25 septembre, mais Foreman s'était blessé à l’arcade sourcilière neuf jours avant. Pas autorisé à rentrer aux États-Unis, il était resté durant tout un mois à Kinshasa, en butte à l’hostilité des habitants, et en déplorant la nourriture qu'on lui servait. Il avancera d'ailleurs plus tard que son eau avait peut-être été droguée pendant le combat…
Marié à cinq reprises, la dernière fois en 1985, Foreman a eu douze enfants, cinq garçons, tous prénommés George, et sept filles. L’une d’elles, Freeda, a disputé six combats pros (5 victoires, 1 défaite) en 2000 et 2001, avant de trouver la mort en 2019, à 42 ans. En 2022, deux femmes avaient accusé l’ancien boxeur d’agressions sexuelles, qui auraient eu lieu dans les années 1970, quand l’une d’elles n’avait que 8 ans et l’autre était adolescente. La procédure était toujours en cours, au coeur de débats juridiques sur la prescription éventuelle des faits.
En janvier 2023, Foreman avait refait parler de lui en vendant sa collection de 51 voitures pour un million et demi d’euros. Il voulait déménager et n’avait donc plus de places pour elles. Il souhaitait alors simplement s’acheter un pick-up... Le 10 juin 2016, il avait assisté aux obsèques de Muhammad Ali. Pour les siennes, Frazier, Norton, Morrison et Ali ne seront plus là, mais Holyfield et Michael Moorer viendront honorer sa mémoire. Celle d’une légende des rings.
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Le perdant de la grande histoire
Un combat disputé en pleine nuit pour être diffusé en prime time aux États-Unis
23 Mar 2025 - L'Équipe
ANDRÉ-ARNAUD FOURNY
En choisissant de rester dos aux cordes et de le laisser s’épuiser, alors que George Foreman était habitué à gagner en un ou deux rounds, Muhammad Ali a causé une énorme surprise en le détrônant lors de leur fameux « combat du siècle », le 30 octobre 1974 à Kinshasa.George Foreman à terre sous le regard de l’arbitre Zack Clayton et de Muhammad Ali, vainqueur du « combat du siècle » à Kinshasa, le 30 octobre 1974.
Lorsque le Championnat du monde des lourds entre George Foreman et Muhammad Ali est annoncé, avant d’être reporté, pour le 25 septembre 1974 à Kinshasa (République démocratique du Congo, ex-Zaïre), il est présenté comme le « combat du siècle ». Avec le temps, il est devenu mythique. Car tout y a été hors norme.
Le promoteur, d’abord. En septembre 1971, Don King, ancien organisateur de loterie clandestine, est libéré du Correctional Institution de Marion (Ohio), après avoir été incarcéré près de quatre ans pour homicide (il avait tué l’un de ses employés qui lui devait de l’argent). Il décide de se lancer dans la boxe et présente notamment une exhibition d’Ali au profit d’un hôpital.
Le charisme d’Ali face à un Foreman renfermé sur lui-même
Battu par Joe Frazier en 1971, le même Ali rêve de retrouver une nouvelle chance mondiale, mais les deux grands promoteurs de boxe, l’Américain Bob Arum et le Madison Square Garden de New York, ne parviennent pas à convaincre le nouveau champion, Foreman, de l’affronter. King, qui allait devenir le premier grand promoteur noir de la boxe, se dit alors que ce combat doit se dérouler sur le continent africain. Et convainc le dictateur Mobutu Sese Seko, président du Zaïre, de financer le combat, tout en garantissant une bourse record pour l’époque, dix millions de dollars, à se partager entre les deux combattants.
Afin de s’habituer à la chaleur, ils s’installent dès le mois d’août à Kinshasa. Mais le 16 septembre, soit neuf jours avant le combat, Foreman se coupe au-dessus de l’oeil droit et le combat est reporté au 30 octobre. De crainte que les deux hommes ne reviennent pas, les autorités insistent pour qu’ils restent au Zaïre. Mais Fore man vit de moins en moins bien son séjour. Les Zaïrois sont conquis par le charisme d’Ali, ses facéties, alors que son rival est renfermé sur luimême et irrite, par exemple avec la présence de son berger allemand, chien que la police utilisait du temps du Congo belge.
Finalement, dans la nuit du 29 au 30 octobre, à 4 heures du matin, pour une diffusion en prime time aux États-Unis, devant 60000 spectateurs dans le stade du 20-Mai, où on apprendra plus tard que les opposants à Mo bu tu étaient torturés dans les sous-sols, le combat du siècle peut commencer. D’entrée, Foreman, favori à quatre contre un, entame son travail de démolition. À partir du deuxième round, Aline cherche pas à fuir sa puissance en se sauvant, en jouant de sa grande mobilité. Au contraire, il s’ adosse dos aux cordes avec, comme tactique, de laisser le champion s’ épuiser. Dans un premier temps, il se protège le visage avec ses gants, ses coudes serrés sur l’estomac. Et dès qu’il sent Foreman las de frapper sans résultat probant, il contre-attaque aussitôt. Les rounds passent et, ne s’étant pas préparé à voir le combat durer, habitué à s’imposer en un ou deux rounds, Foreman faiblit.
À une vingtaine de secondes de la fin du huitième round, Ali, coincé dans un coin, se lance à l’offensive, enchaîne. Ébranlé par six coups d’affilée au visage, « Big George » s’effondre sur le dos et se relève en chancelant lorsque l’arbitre américain Zack Clayton compte 10. Une marée humaine vient entourer Ali, et King s’approche pour le féliciter. Comme si Foreman, à terre, n’existait plus.
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Il avait failli faire son come-back en France
A.-A. F.
“Il m’a dit que c’était hors de question,
que Foreman était vieux et gros et
qu’il ne voulait pas d’accident sur le ring''
- L’ANCIEN PROMOTEUR ROGER FERRER,
AU SUJET DU REFUS DE CHARLES BIÉTRY
« Big George » avait décidé de remonter sur un ring en 1987. Aucun promoteur américain n’était intéressé par lui, mais l’organisateur Roger Ferrer avait tenté de mettre l’ancien champion du monde au programme de sa réunion à Antibes. Craignant un accident, Canal+ avait refusé.
Lorsque George Foreman a décidé d’entamer son come-back en 1987, aucun promoteur n’était intéressé par lui. Au point qu’il a failli revenir… en France. « J’avais un ami à New York qui m’a proposé de le faire boxer, se souvient Roger Ferrer, grand promoteur dont les réunions ont été diffusées sur Canal+, TF1, France 2 et France 3. Comme personne ne lui proposait de combats aux États-Unis, cet ami m’a dit que je l’aurais gratuitement, que Foreman se débrouillerait pour se payer sa bourse, car il avait absolument besoin d’un premier combat pour lancer son come-back. »
À 38 ans, retiré des rings depuis dix ans, Foreman, devenu pasteur, avait fait rire le monde de la boxe en annonçant qu’il allait remonter sur un ring. « J’ai donc décidé de le mettre au programme de ma réunion du 6 février 1987 dans la petite salle SalusseSantoni, à Antibes, précise Ferrer. Elle était diffusée en direct par Canal+. (…) Bien sûr, je ne savais pas quel était l’état de forme de Foreman, mais c’était un grand nom. Et je me voyais faire avec lui plein de combats en France et en Europe. Il ne me coûterait donc rien, sauf la bourse de son adversaire, mais, par principe, j’ai demandé un peu plus d’argent à Charles Biétry, qui était le chef des sports de Canal. Au restaurant, je me revois lui disant : “Charles, tu vas être content, j’ai une super proposition à te faire. Je peux avoir Foreman pour son retour.” »
Mais la réponse du chef des sports de Canal n’allait pas être celle qu’il attendait: « Il m’a dit que c’était hors de question, que Foreman était vieux et gros et qu’il ne voulait pas d’accident sur le ring. » Finalement, Foreman faisait son come-back le 9 mars suivant à Sacramento (Californie), battant son compatriote Steve Zouski (25 victoires, 11 défaites) par arrêt de l’arbitre au dixième round. « Quand j’avais publiquement annoncé mon retour, écrivait Foreman dans son autobiographie By George (1995, Villard Books, New York), les gens qui ont ri le plus fort étaient les journalistes sportifs. Je m’en fichais. Ils pouvaient être excusés pour leur ignorance. Comment pouvaient-ils voir ce qu’il y avait dans mon coeur, mon âme, mon esprit?»
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