Voyage au coeur d’un miracle
Un an après la victoire de la Côte d’Ivoire lors de sa CAN à domicile, retour sur les moments clés d’un des scénarios les plus incroyables dans l’histoire des grandes compétitions. Au bord de l’élimination en phase de groupes, les Éléphants l’avaient finalement emporté.
11 Feb 2025 - L'Équipe
MATTEO AMGHAR et HERVÉ PENOT
En ce 12 février 2024, lendemain de succès à la C AN (13 janvier-11février) face au Nigeria (2-1), une Côted’ I voire unie envahit les rues d’ Abidjan pour célébrer ses Éléphants, épilogue d’ un mois en ballon inoubliable. Car trois semaines plus tôt, le pays hôte, écrasé parla Gui née équatoriale (0-4) en phase de groupes, est passé au bord de l’ élimination. Sons élection neur,Jean-LouisG as set, avait même été remplacé en cours de compétition, par son adjoint E mer se Faé. Un an après, retour sur cet improbable retourne ment de situation.
Entame chaotique
« Les gens pleuraient »
Les rues d’Abidjan grondent déjà. La peur enveloppe les alentours dus ta ded’ Ébimpé, des caillassages sont annoncés, les regards se figent.
L’hôtel des Éléphants se barricade par crainte de représailles sous la protection d’ une police renforcée. La Côted’ I voire s’est fracassée sur la Guinée équatoriale (0-4), une humiliation et une quasi élimination des aC AN. Y a hi aFof ana, le gardien, décrit ce vestiaire brisé: «C’est comme si on était à un enterrement, que le cercueil était devant nous et qu’on le regardait impuissant. Les gens pleuraient. On nous prévient qu’on ne peut pas quitter le stade parce que les supporters nous attendent. On est sorti vers 3heures du matin alors que le match avait débuté à 17 heures …»
Dans cette ambiance de fin du monde, Max-Alain Gradel, l’ancien (36ans alors), tente de releverlatête: « J’ai essayé de rester un peu positif parce que vous vous imaginez, moi, en train de pleurer? Mais c’ était chaud …»
Ces images de dévastation les accompagnent toujours. «J’en ai encore des flashs, assure Sébastien Haller, c’était l’apocalypse. J’avais très mal pour mes coéquipiers. Certains ressemblaient à des zombies. Le président de la Fédération (Idriss Diallo) a fait un discours de remobilisation, mais j’étais ailleurs, comme beaucoup, je pense. Le choc était tellement brutal.»
Plus encore quand l’équipe apprend le départ de JeanLouis Gasset, le sélectionneur.
Changement de sélectionneur « Emerse va remporter le trophée ! »
Gasset sort détruit de la conférence de presse d’après Guinée équatoriale. Il rejoint illico Diallo, devenu une cible pour son choix de l’ avoir engagé, lui annonce son intention d’ arrêter .« Il m’ a dit :“Il y a tellement de haine envers vous que je pense que vous ne méritez pas ça. Parce que l’équipe, c’est moi qui l’ai faite. Je ne sais pas pourquoi vous êtes aussi violemment attaqué.” » Diallo lui répond: « Je ne prends aucune décision sous la pression ou sous la panique. On en reparle tranquille demain matin.» À bout de forces, G as set réitère sa volonté le lendemain. « J’ai dit OK, reprend le président. Etjeluiai dit que j’allais choisir Emerse (Faé). Il m’a répondu: “Oui, il est prêt. Et je vais vous faire une confidence, je suis sûr, président, qu’Emerse va remporter le trophée !” » Les joueurs sont alors prévenus. «Et quand le coach nous annonce son départ, se souvient Yahia Fofana, c’est terrible. » Des larmes coulent. « On n’était pas éliminés, mais pas mal de joueurs n’y croyaient plus », poursuit le gardien. Même si Faé reste le successeur prévu deGasset,Di allo, qui voit une ouverture,tente Hervé Renard, mais la Fédération française ne libère pas le sélectionneur des Bleues. Faé sera donc sur le banc. Le sélectionneur sourit :« Nommé le jour de mes 40 ans, incroyable …»
Prier pour ne pas être éliminés
« À 1-0 pour le Maroc… »
Un pays tremble, suspendu au Maroc. Si les Lions del’ Atlas l’ emportent sur la Zambie (1-0), la Côte d’Ivoire décroche son ticket pour les 8es de finale comme meilleure troisième. Des joueurs se sont regroupés par affinités, certains dans les chambres, d’ autres devant un écran à l’ hôtel en plein air. « On était une dizaine là, raconte Gradel. À 1-0 pour le Maroc, à la mi-temps, des joueurs nous ont rejoints et j’ai dû les ramener chacun à leur place. J’ai demandé à celui qui était dans les toilettes de rester dans les toilettes, celui qui était dans sa chambre de rester dans sa chambre …» Question de superstition…
La folie s’ empare des Éléphantsau coup de sifflet final. Le lendemain, c’est le premier entraînement des survivants. Gradel : « On avait enfin un objectif.
Avant, on s’entraînait (pendant deux jours) en sachant qu’on était quasi éliminés…» La Côte d’Ivoire va devoir passer par Y a mous soukro (8 es) puis B ou aké(qu arts ). Diallo décide d’en appeler aux croyances. Le groupe se rend ainsi sur le tombeau de Félix Hou ph ouët-Boigny,le«p ère» de la nation. « On devait le saluer et lui confier notre destin », glisse le président.Puis la délégation rejoint la basilique Notre-Dame-de-la -Paix, la réplique de Saint-Pierre de Rome dans la capitale ivoirienne. Diallo: « Nous avons tous prié là-bas : musulmans, chrétiens. Quelque chose qu’on ne peut pas expliquer s’est passé. Ce n’est pas matériel, mais c’est un truc à l’africaine, j’allais dire ; on le ressent. Cela a créé une forme d’union, de solidarité, de foi aussi .»
Touchés par la grâce « Jamais vu de tels scénarios en trente ans »
La Côte d’Ivoire doit se frotter au Sénégal en 8 es, l’ équipe la plus impressionnante.Au bout de quatre minutes, les Lions se détachent (1-0). Mais ce ne sont plus les mêmes Éléphants, les écueils passé sont changé leur visage .« Logique ment, tues censé plonger, mais nous, on met le ballon au centre et, paf, on repart », glisse Gradel. Ya
hia Fofana confirme: « Je n’ai vu aucun coéquipier abattu.» L’équipe égalise sur un penalty de Franck K es siéavantd es’ imposer aux tirs au but grâce au même homme, pourtant l’un des souffre-douleur dupeuple(1-1,5-4auxt.a.b.).
Face au Mali (2-1, a.p.),lescé na rio se présente, encore plus improbable. Menés d’ un but, réduits à 10, les hôtes reviennent àla90e puis l’emportent à la 120e+2 par 2gosses (Adingra et Diakité). Irréel. Yahia Fofana sort même un penalty en première période. « Quand je l’arrête, je me dis que je vais faire un gros match, pense l’Angevin. Et j’ai vu ensuite des joueurs encore plus conquérants.»
Assis en tribune, Jean-Philippe Krasso, le deuxième buteur du tournoi, se montre bien plus inquiet. «Cela a été longtemps le pire match de ma vie, le coeur a souffert, dit-il. Jusqu’au bout, il fallait croire, mais je ne sais même pas si on y croyait vraiment. Ces 120 minutes me marqueront à vie.» Àlafin,Faé entreentranse. «Je n’ai jamais vu de tels scénarios en trente ans de foot, insiste-t-il. Après le Mali, franchement, tu te dis que rien ne peut t’arriver. Avec Guy (Demel,sonadjoint), on se disait : “On a une étoile defou!”(rire.)»
Et finalement le graal « On était sûrs de gagner »
À la pause de la finale, le Nigeria a prisunavantage(1-0).Levestiaire reste imperturbable. Gradel :« On était tellement sûrs de gagner ce match-là qu’on n’a pas trop parlé. Ça allait passer. » Etçapasse,par un but de Sébastien H aller( voir ci contre ), parfait symbole du parcours chaotique .« Au début, il était blessé donc il nous encourageait, faisait des discours, raconte Yahia Fofana. Et il s’est sacrifié alors qu’il avait mal à une cheville. Il a forcé.»
Jusqu’ à devoir prendre plusieurs mois pour se soigner .« Ce sacrifice a eu de lourdes conséquences pour moi»,admet le héros. Mais il y était prêt. Comme tous les Pachydermes. Diallo: «On a vécu un truc hors norme qui a mis en avant tant de valeurs. À partir du 8e, j’ai même ramené les joueurs au centre du terrain : on se mettait à genoux et on levait le doigt vers le ciel pour remercier le ciel et la population ivoirienne.» Cessignesne les ont jamais quittés. Yahia Fofana: « Et franchement, je ne toucherai à rien de cette histoire. Plus le chemin est dur, plus la victoire est belle. Je ne sais pas si on pourra faire mieux …» Plus irrationnel, en tout cas, ce sera très difficile.
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Haller: «Je n’étais pas du tout apte »
M. Am.
Buteur en finale, l’attaquant était pourtant sérieusement touché à une cheville au début de la compétition.
“On m’a volé ce moment unique''
UTRECHT (HOL) – Unanaprèslesacre, Sébastien Haller, 30ans, raconte ce mois hors du temps, marqué par une sale blessure à la cheville gauche qui l’ a privé d’ une partie de la compétition. Après des efforts intenses, l’attaquant de Dortmund, prêté cette saison à Utrecht, a marqué pour sa première titularisation contre la RDCongoendemies(1-0)puisle but du titre contre le Nigeria (2-1).
Sébastien Haller, ici à la lutte avec Semi Ajayi,
a inscrit le but vainqueur contre le Nigeria en finale (2-1).
«Vous êtes arrivé blessé au début de la CAN…
Je n’ avais pratiquement pas joué de la saison, j’ ai travaillé dès fin décembre avec le staff. J’ attendais cette C AN depuis tellement longtemps que je n’ ai pas hésité à y aller, en sachant que je ne pouvaispas être de retour avant une éventuelledemi-finale.Vul’état de ma cheville( gauche ), je ne sais toujours pas comment j’ ai pu finalement jouer dès le8e contre le Sénégal( il est entré àla73e )… J’ ai passé mon temps entre les mains dekinés,j’ a vais presque l’ impression de dormir avec eux (rires ). On a fait avec les moyens du bord dans des conditions assez rudimentaires. C’était frustrant car j’ avais rêvé de ce moment et j’ y assis tais impuissant. Mais, c’ était un pari.
Pari réussi, donc?
Oui, mais je me suis surtout demandé ce que je faisais là. Avant de défier le Sénégal, j’ ai pris la parole :“Si on les sort, on est obligésd’ aller au bout. Ce n’ est plus négociable .” Même en dehors, je faisais ce que je pouvais pour booster les gars, car c’ est une aventure humaine commune. Aujourd’ hui, je réalise que je n’ ai pas véritablement vécu la C AN dans mon corps. Je n’ étais pas du tout apte et j’ ai passé mon temps à cogiter en pensant à ma cheville. Physiquement et mentalement, ce mois m’ a usé et je l’ ai payé ensuite. Il n’ y a que la victoire qui permet de savourer et de se dire que ça valait le coup.
Comment avez-vous vécu votre but décisif en finale?
Je me fais mal cinq minutes avant (81 e ). Je demande à sortir mais Ghislain( K on an) me dit :“C’ est le diable qui essaie de te challenger.” Donc je serre les dents pour lui faire plaisir alors que je savais bien que le banc pouvait faire la différence. On l’ avait vu aux tours précédents. Finalement, ça m’ a sou ri et je suis sorti juste après. Le coup de sifflet final reste-t-il votre moment le plus marquant?
C’ était fort. Mais il y a instantanémenteu trop de monde sur le terrain, des gens qui n’ avaient rien à faire là. C’ est le seul truc qui me reste en travers de la gorge car je n’ ai pas pu profiter de cet instant privilégié avec l’ équipe. On m’ a volé ce moment unique. Lors des célébrations, j’ avais toujours du ma là y croire. J’ ai mis du temps à comprendre que tout ce parcours était derrière nous et qu’ on était bien champions d’Afrique.»
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