MOTTET: «On était tous des enfants de Bernard Hinault»


Il a cru pouvoir gagner le Tour de France très rapidement dans la foulée du Breton, en 1987 et 1988, avant de comprendre que la marche était trop haute pour lui. Le Drômois raconte avec lucidité ses certitudes de l’époque mais aussi le désenchantement qui a suivi.

16 Jul 2024 - L'Équipe
PHILIPPE LE GARS

SALLANCHES (HAUTE-SAVOIE) – Charly Mottet n’est pas du genre à ressasser les regrets et encore moins à tomber dans un excès de nostalgie. Il reste fier de sac arrière même sans avoir gagné le Tour de France que beaucoup lui promettaient. Il a accepté de revenir sur ces années charnières, celles qui ont suivi la fin de carrière de Bernard Hinault quand tout semblait possible à sa génération, qui était née sous le règne du Breton. Il reconnaît avec lucidité qu’il a laissé passer sa chance avant de trouver sa voie, plus modeste certes mais plus conforme à ses moyens, sans plus jamais viser le maillot jaune sur les Champs-Élysées. Absent pour la première fois du Tour de France où il officiait comme responsable des relations publiques, il nous avait reçus chez lui au printemps. 

- Cela fait bientôt quarante ansquele cyclisme français n’ a pas de vainqueur duTourdeFrance...

Oui, c’ est fou de se dire que Bernard Hinault n’ a toujours pas de successeur. Personne ne l’ aurait cru à l’ époque, quand je fais mon premier Tour de France en 1985. J’ aurai eu au moins ce privilège de le courir quand il gagne pour la dernière fois, mais je n’ étais plus dans son équipe, il avait quitté Guimard l’ année précédente. J’ avais couru avec lui seulement lors de ma première annéepro,en1983.

- Vous vous souvenez de vos premières rencontres avec lui?

Il y avait eu ce premier stage avec l’ équipe Renault, à Pont château durant l’ hiver 1982. C’ était un stage de cyclo-cross. Je me souviens qu’ il n’ arrêtait pas de gueuler contre Laurent Fignon et Pascal Jules, contre les Parisiens .“Bandedecons”, répétait-il, il n’ avait pas beaucoup roulé durant l’ hiver comme chaque année et les deux lui en faisaient voir de toutes les couleurs à l’ entraînement.

- Et votre première course avec lui?

C’était sur le Tour Méditerranéen, en 1983, la veille de l’ étape du mont Far on où j’ étais le mieux classé de l’ équipe. Bernard Quilfen, le directeur sportif, avait passé la consigne, tout le monde rouler ait pour moi. Je partage ais la chambre avec Bernard, même s’ il y avait en général un roule ment, je ne pense pas avoir été mis avec lui par hasard ce soir-là. Lucien Aimar, l’ organisateur, avait eu la belle idée de mettre une demi-étape le matin avant le Far on. On devait se lever à 6 heures du matin. Le soir dans la chambre, je lui ai dit quej’ étais àSall anches en 1980 sur le bord de la route. J’ avais mis une pièce dans le juke-box, il m’ a raconté toute l’ histoire de cette journée du Championnat du monde mais aussi toutes a préparation, toutes les anecdotes. Il était 1 heure du matin quand on s’ était endormis, je commençais à plier des ailes. Cette soirée-là, ses confidences m’ ont beaucoup marqué. C’ était le champion qui se racontait.

- Il n’ était déjà pas loin des afin de carrière et personne en France ne se présent ait comme son successeur?

Maison ne se posait même pas la question. Il n’ y avait aucun débat là-dessus car Laurent( Fignon) avaitdéjàgagnéen1983 puis face à Hi naulten1984,c en’ était donc pas du domaine de l’ impossible. C’ était courant alors d’ avoir un vainqueur français. L’ équipe Renault était la numéro 1 mondiale à cette époque, il y avait, en plus de Fignon, Marc Madiot et Pascal Jules, et moi je pensais donc que mon tour arriverait un jour. Cyrille savait qu’ il avait des bons coureurs sous lamai net il nous ménage ait avant de nous lancer sur le Tour, il attendait qu’ on fasse nos deux premières années pros, on passait parla Vuelta ou le Giro avant d’ avoir le droit de postuler à une place dans l’ équipe du Tour de France. Mais c’ était pour gagner évidemment.

"On était habitué même quand on était jeune néo-pro à voir nos aînés gagner, 
on passait du temps avec eux"

- À partir de quand avez-vous imaginé que gagner le Tour relevait du possible pourvous?

J’ai eu cet objectif dans un coin de ma tête dès 1985, après le contre-la-montre Sarrebourg-Strasbourg que Bernard avait gagné devant Stephen Roche. J’ avais fait troisième, j’ avais même battu Greg LeMond alors que j’étais néo-pro. Je n’ avais jamais fait un chrono de cinquante kilomètres jusque-là, je me disais après cette performance que tout était possible. Faire ça sur un contre-la-montre d’ une telle distance ça ne trompe pas. J’ avais le moteur pour gagner le Tour un jour, je n’ avais que 20 ans à l’ époque. Jusque-là, j’ avais eu trop de doutes à mes débuts. Je me souviens d’ avoirga lé ré souvent avec l’ équipe B de Renault, j en’ avais aucune assurance sur mon avenir. À partir de ce chrono, j’ avais de vraies perspectives. On imagine mal aujourd’ hui un jeune Français de 20 ans se dire qu’ il peut gagner le Tour. C’ était plus facile àl’ époqued’ Hinault de se mettre ça en tête parceque c’ était presque monnaie courante. On était habitué même quand on était jeune né o-pro à voir nos aînés gagner, on passait du temps avec eux. Mais ça ne valait pas seulement pour les leaders mais aussi pour les équipiers, Marc Madiot et moi par exemple, on avait travaillé pour Fignon, Hinault et LeMond, on savait ce que ça voulait dire se battre pour gagner le Tour de France. Je me souviens du Tour de France 1984 que je ne courais pas et qui était passé pas très loin, à Morzine. J’ a vais passé la soirée avec l’ équipe R en aultàl’ hôtel, le soir de l’ étape. Dans notre tête, on se disait que dans cinq ou six ans ce serait à notre tour de gagner en juillet. C’ était presque culture le tonne ressent ait jamais le Tour comme un obstacle infranchissable. Les Français aujourd’ hui n’ ont pas cette chance, un gars comme Bardet s’est construit tout seul sans avoir été en apprentissage auprès d’ un vainqueur du Tour.

À quel moment avez-vous été présenté réellement comme un potentiel vainqueur du Tour?

Je me rappelle un titre de Pierre Chany en 1987 dans L’Équipe, “Mottet fait son beurre”, après une échappée où j’avais pris quatre minutes. Guimard avait mis Fignon à mon service car il ne marchait pas cette année-là. En fait, on était tous des enfants d’Hinault, sous la coupe de Cyrille même s’il n’était pas toujours très élégant avec toutlemonde.

- Et quand avez-vous compris que vous ne gagne riez jamais le Tour?

Au début des années 1990, quand arrive (Miguel) Indurain. Je l’ avais battu sur le Tour de l’Avenir mais c’ était une autre époque, il était plus jeune que moi. J’avais compris que mon temps était passé. Il y avait eu une ouverture en 1987 mais Laurent Fignon attaquait de toute part, c’ était compliqué. Je me suis toujours senti à ma place parla suite, deux fois quatrième (1987 et 1991) et une fois sixième (1989), c’ était mon vrai niveaufinalement.

- Le fait d’ avoir roulé aussi pour Fig non ne vous a-t-il pas fait perdre des années, et surtout l’ occasion de gagner le Tour?

Non, car à mes débuts, je n’ étais pas un coureur très aguerri, j’ étais plutôt tendre physiquement. Quand je suis passé pro, je n’ avais pas beaucoup de kilomètres dans les jambes donc j’ avais une grosse marge de progression. Ça m’ a servi d’ apprendre auprès de Laurent, ça ne m’ a pas freiné. Richard Virenque avait ça aussi en lui, il a connu la fin des années Fignon, ils’en est peut-être inspiré aussi. Ce n’était pas une aberration de le présenter comme un potentiel vainqueur du Tour.

"Jean-François Bernard en 1987 et Thibaut Pinot en 2019
Les Français ne pensent plus a ganer à succéder à Hinault." 
C’est le Tour en lui-même qui est compliqué

- Quels auraient sont les pu Français succéder qui à auraient' Hinault pu' vraiment succéder à Hi naultselonvo us?

Il yen a eu deux, Jean-François Bernard en 1987 etThiba ut Pinot en 2019. Il sont eu de la malchance, ils ne sont pas battus sur leur vraie valeur. Si Jeff ne crève pas au col de Tourniol et sion n’ organise pas avec l’ équipe R en ault un coup de T ra falgaraur avitaillement juste après (lors de la 19e étape du Tour 1987, il avait perdu plus de 4 minutes), il aurait été avec Roche et Delga do àl’ arrivée à Vil lard-deL ans et il aurait gagné le Tour (il a fini 3e à Paris à un peu plus de 2 minutes). Pareil pour Thibaut, il a été trahi par son physique fragile.

- Qui pouvait le battre sinon?

Il n’a pas été battu, en tout cas par des adversaires directs.

- Qu’est-ce qui n’ a pas fonctionneé pourvous?

J’ai eu deux ouvertures avec Roche et Delgado mais après le train est passé. Ensuite il y a eu deux courses, on sait tous pourquoi. Je n’ avais pas le même caractère que le Blaireau, qui était bagarreur, ou que Richard qui aimait la lumière. On ne change passa nature profonde, on la modifie juste un peu. Je n’ ai jamais trop couru contrenature.

- On a parlé, souvent à votre place d’ ailleurs, sur ces années de do page qui vous ont empêché de gagner le Tour.

Mais je n’ ai pas été le seul dans cette situation. La génération 2000, celle de Sandy Casar, Thomas Voeckler, David Moncoutié, avéc u ça encore plus violemment car moi j’ avais eu la chance de connaître les années 1980 où le do page n’ était pas aussi répandu. Eux, il sont connu ça durant toute leur carrière. Il sont reçu bien plus que moi, et même Bard et et Pinot, qui ont connu la fin de cette période quand ils commençaient leur carrière. Quand j’ ai compris ce qu’ il se passait, je me suis concentré sur les victoires d’ étapes mais heureusement que c’ était seulement sur ma fin de carrière. C’ est quand j’ ai vu B jar ne Riis qui avait été équipier de Fig non jouer les premiers rôles que j’ ai vraiment tout compris. Mais attention il n’ était pas seul, Richard( Virenque) afait partie aussi du “voyage”.

- Qu’est-ce qui est le plus dur pour un Français: la pression naturelle du Tour ou celle de succéder à Hi nault?

Les Français ne pensent plus à succéder à Hinault. C’est le Tour en lui-même qui est compliqué à gagner. Dès que le vélo est sorti des frontières de l’Europe, c’est devenu plus difficile de gagner le Tour. Hinault a été à la charnière, il a connu le début de la mondialisation, ça a beaucoup changé par la suite.»

***

EN BREF

CHARLY MOTTET 
Coureur cycliste 61 ans
Palmarès: 57 victoires sur route. Trois fois vainqueurs du classement général du Critérium du Dauphiné (1987, 1989, 1992), vainqueur de deux étapes sur la Vuelta en 1986.
Ses Tours de France: 10 participations. 3 victoires d’étape (1 en 1990 et 2 en 1991). 
Maillot Jaune pendant 6 jours en 1987.

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