Boonen: «Paris-Roubaix rend humble»
Le Belge, retraité en 2017, a remporté la première de ses quatre victoires sur le vélodrome de Roubaix il y a tout juste vingt ans. Il revient sur son attachement particulier à cette classique, découverte en 1999 chez les Espoirs, qui a forgé sa notoriété
“J’ai découvert que s’occuper des enfants était bien plus prenant que d’organiser une carrière de cycliste (…) La vie de père de famille, c’est une autre affaire''
“Johan (Museeuw), c’était le champion des classiques et je voulais suivre son exemple. Mais, à l’époque, il ne parlait pas beaucoup. J’étais plus volubile, c’est sûr''
“Quand j’ai commencé à gagner, les jeunes et les femmes se sont intéressés à ces courses (…) Aujourd’hui, avec Pogacar et Van der Poel, on retrouve le même regain d’intérêt ''
“J’ai toujours pensé que celui qui entrait en dernier sur le vélodrome à Roubaix avait autant de mérite que le vainqueur ''
“Quand j’ai arrêté en 2017, il (Roger De Vlaeminck) était le plus heureux des hommes
“Avant (l’accident à Abu Dhabi, en octobre 2015), je me croyais certainement immortel, mais là j’avais eu peur. J’en avais assez de prendre tous ces risques, de vivre avec ce stress en permanence"
"Je n’ai pas loupé une seule édition depuis ma retraite.
Aujourd’hui, je suis dedans à fond"
13 Apr 2025 - L'Équipe
PHILIPPE LE GARS
ANVERS (BEL) – Tom Boonen est un homme occupé. Au surlendemain du Tour des Flandres, il était déjà loin des monts pavés, en rendez-vous avec ses associés et des partenaires afin de conclure de nouveaux contrats pour sa société Classified Cycling, spécialisée dans l’équipement haut de gamme de vélos. Depuis sa fin de carrière en avril 2017 au soir des on dernier Paris Roubaix, le champion belge (44 ans) n’ a pas vu le temps passer, au point de se poser très rarement pour revenir sur son immense carrière concernant les classiques. C’est dans le centre d’Anvers, tout près du port où se situent ses bureaux, que nous l’ avons retrouvé. Bloqué dans les bouchons infernaux qui perturbent régulièrement la circulation dans la cité portuaire du nord de la Belgique, il était arrivé bien en retard, mais avait tenu à assurer notre rendezvous, obligeant du coup ses associés à commencer le lunch sans lui. Affable, jamais à court d’anecdotes et parfois même ému quand il s’agit de raconter ses Paris-Roubaix, il avait préféré prendre son entrée sans eux pour poursuivre l’ interview, au calme au premier étage dans un petit salon. Enthousiaste à l’ idée de replonger dans ses souvenirs.
«Vous réalisez que ça fait déjà vingt ans que vous avez gagné votre premier Paris-Roubaix?
C’ est en regardant les photos de ce ParisRoubaix 2005 que je me rends compte que ça fait longtemps, en effet. Quand je vois notre équipement, le matériel surtout, ces vélos qui n’ ont rien à voir avec ceux d’ aujourd’ hui, mêmes ion était déjà contents de nos vélosTi me, qui avait sorti des cadres spéciaux pour Roubaix, plus longs. Mais ça paraît tellement loin tout ça, comme si c’ était une autre histoire.
Et ça fait déjà presque dix saisons que vous n’ êtes plus professionnel… Ce sont ces dix dernières années qui ont passé le plus vite. Depuis la fin de ma carrière j’ ai connu une autre vie, ça n’ a pas toujours été facile, mais j’ ai découvert que s’ occuper des enfants était bien plus prenant que d’ organiser une carrière de cycliste. Quand on est coureur, tout est programmé chaque année, la période des classiques, vient ensuite le Tour de France à préparer, il n’ y a aucune surprise. Alors que la vie de père de famille, c’ est une autre affaire, aucune journée ne ressemble àlaprécédente.
Vous vous souvenez de cette journée du 10 avril 2005, le matin à Compiègne?
Je n’ ai rien oublié, c’ était l’ apothéose de quinze jours extraordinaires pour moi. C’ était la première année où j’ étais désigné leader unique de l’ équipe sur les classiques, J oh an( Muse euw) avait arrêté l’ année précédente. Je gagne leGPE 3, puis le Tour des Flan dr es la semaine avant Roubaix. J’ étais dans une forme incroyable. J’ ai toujours dit quand je courais que je ne faisais aucune différence entre mes quatre victoires (2005,2008,2009,2012), mais cette première est restée gravée dans mon coeur.Carj’ étais plus attaché à Paris Roubaix qu’ au Tour des Flan dr es( qu’ il a gagné en 2005,2006 et 2012). Sportive ment, il y a eu ensuite ma dernière victoire en 2012, celle où je ne me suis jamais senti aussi fort. J’ avais 31 ans, je connaissais par coeurtousl es secteurs, jamais je n’ avais roulé aussi vite sur les pavés, c’ était le plus beau jour de ma carrière.
Pour quelles raisons préfériez-vous Paris-Roubaix au Tour des Flan dr es, la course magistrale pour les Flamands?
On ne peut jamais expliquer un rêve. C’ était pareil pour moi avec Paris-Roubaix, je l’ avais découvert en Espoirs, à l’âge de 18 ans (en 1999) et je n’ avais jamais encore roulé sur des pavés. J’ avais fini6eetj’ a vais senti tout de suite que c’ était ma course, celle qui me ferait toujours rêver. C’ est pour ça que j’ avais voulu arrêter ma carrière au soir de mon dernier Paris-Roubaix en 2017, je trouvais que c’ était un beau symbole.
Lors de votre première participation chez les pros en 2002, vous étiez monté sur la 3 e marche du podium. Johan Museeuw, qui avait gagné, vous avait parlé en coulisses, c’ étaient des encouragements?
Je ne me souviens pas vraiment de ce qu’ il m’ avait dit, un truc du genre que, bientôt, ce serait mon tour. Oui, quelquechose comme ça. Moi je n’ avais qu’ une idée en tête, c’ était de courir dans son équipe (QuickStep-Davitamon). J’é tais convaincu qu’ il fallait quitter l’équipe US Postal car, pour réussir, je devais être dans une équipe belge avec des Belges. J oh an, c’ était le champion des classiques (triple vainqueur du Tour des Flandre set de Paris-Roubaix entre 1993 et 2002) et je voulais suivre son exemple. Mais, à l’ époque, il ne parlait pas beaucoup, il ne me donnait pas vraiment de conseils quand j’ ai débuté à ses côtés; on était différents, j’ étais plus volubile, c’ est sûr. Mais il a beaucoup changé: quand je le revois aujourd’ hui, j’ ai beaucoup de plaisir à passer des moments avec lui. Il est vraiment très drôle, ce n’ était pas le cas quand il courait.
Vous-avez apporté un vent nouveau à l’époque sur ces classiques, où régnaient de purs Flandriens comme Museeuw et Peter Van Petegem (doublé Tour des Flandres-Paris Roubaix en 2003).
C’ était mon caractère et c’est vrai que l’ intérêt pour les classiques s’ est élargi grâce à moi, même en Belgique. Auparavant, le public ici était composé de vieux connaisseurs qui parlaient toujours de l’ ancien temps. Quand j’ ai commencé à gagner, les jeunes et les femmes se sont intéressés à ces courses, les gens venaient plus en famille sur le bord des routes. Je n’ ai jamais rien fait pour ça mais, quand on voit la génération d’ aujourd’ hui, avec (Tadej) Pogacar et Mathieu (van der Poel ), on retrouve le même regain d’ intérêt. Parce qu’ ils sont joyeux et heureux d’ être là, ils dégagent quelquechose comme moi sans doute à l’ époque.
Vous donniez l’ image d’ un coureur qui ne voulait pas faire carrière uniquement en Belgique…
C’est peut-être ce qui me différenciait des anciens coureurs flamands. Comme j’ étais rapide au sprint, je voulais gagner le plus de courses possible et n’ importe où. Un coureur qui peut gagner des étapes sur le Tour de France (il en a gagné 6, entre 2004 et 2007) ne va pas s’ en priver parce qu’ il préfère courir les classiques du printemps. J’ avais cette mentalité à mes débuts, je voulais découvrir beaucoup de courses.
Vous-aviez un esprit joueur?
Oui, comme Tadej Pogacar, je pense. Je n’ ai jamais considéré le cyclisme comme un métier mais comme un jeu. Ce qui m’ excitait surtout quand j’ étais jeune, c’ était de me dire que j’ allais affronter les plus grands coureurs du peloton, je voulais battre les plus grands sprinteurs. Et ensuite, ce fut sur les classiques.
Le matin de votre premier Paris-Roubaix remporté, vous étiez déjà sûr de vous?
Non, il y avait un stress incroyable même si j’ avais gagné les Flandre su ne semaine avant. Paris-Roubaix rend humble, jamais je ne me suis senti imbattable sur ces pavés. Je respect ais toujours mes adversaires, mais aussi l’ histoire de ce Monument. J’ ai toujours pensé que celui qui entrait en dernier sur le vélodrome à Roubaix avait autant de mérite que le vainqueur. Il y a vraiment quelquechose de sacré quand on arrive là.
Faut-il être méchant sur le vélo pour gagner à Roubaix?
J’ étais toujours quelqu’ un de très gentil sur le vélo, comme n’ importe quel coureur du peloton je pense, mais sur Paris-Roubaix je défend ais ma place bec et ongles durant la course, il ne fallait pas qu’ on vienne me la piquer. Là, je pouvais en effet avoir une attitude un peu moins agréable. Sur les pavés et aussi sur un sprint, on ne peut pas se permettre de se faire des politesses.
Comme van der Poel avec Van Aert et maintenant Pogacar sur les classiques, aviez-besoin d’une forte rivalité pour vous motiver? On vous a beaucoup opposé à Fabian Cancellara à votre époque.
Je n’ avais pas besoin de Fabian (3 victoires sur Paris-Roubaix et au Tour des Flandres, une sur Milan-San Remo entre 2006 et 2014) pour vouloir gagner Paris-Roubaix ou le Tour des Flandres, mais une victoire face à lui avait évidemment plus de saveur, comme Pogacar préfère certainement battre Mathieu (van der Poel) au Tour des Flandres qu’ un coureur moins réputé. Mais ça n’a rien à voir avec une rivalité comme on l’ imagine habituellement, je ne suis pas sûr que Mathieu ait avancé plus vite parce qu’ il avait Wout (Van Aert) face à lui à ses débuts et Pogacar aujourd’ hui.
Vous n’ avez jamais voulu reparler de ce Tour des Flan dr es 2010 quand Fabian Cancellara vous avait attaqué outrageusement dans le Grammont, ce qui avait provoqué en suite des doutes sur l’utilisation d’un vélo électrique à travers des vidéos diffusé es sur certains sites Internet.
Je pense toujours aujourd’ hui qu’ il était certainement le plus fort ce jour-là. Sur le coup, j’ étais très déçu, évidemment, mais comme quand on perdu ne course qu’ on voulait gagner. Après, il y a eu toutes ces histoires, ces vidéos, mais ce n’ était jamais une preuve flagrante. Je n’ ai jamais cherché à polémiquer, j’ ai gardé pour moi le fond de mapensée.
Vous-aviez aussi à l’époque un grand contradicteur, Roger De Vlaeminck qui n’ arrêtait pas de vous critiquer.
Roger était en fait mon plus grand supporter, sauf un jour par an, à Paris Roubaix, surtout quand je me suis rapproché des on record et que je l’ ai égalé (4 victoires, DeVlaeminck s’é tant imposé en 1972,1974,1975 et 1977). Quand j’ai arrêté en 2017, il était le plus heureux des hommes, j’avais vu une vidéo des supporters belges sur le vélodrome quand je perds contre Ha y man en 2016 où j’aurais pu gagner une cinquième fois, tout le monde a lamine triste sauf un qui saute de joie. C’était Roger De Vlaeminck! Il y a quelques années, une rumeur a couru en Belgique comme quoi je pouvais reprendre ma carrière, on m’ a raconté qu’ il était en panique totale.
Ce Paris-Roubaix en 2016 justement, n’ est-il pas votre plus grande déception? Vous êtes battu au sprint par un quasi inconnu, (l’Australien) Matthew Hayman, alors que vous pouviez entrer dans l’histoire.
Paradoxalement, cette deuxième place a été ma plus grande victoire. Six mois plus tôt, j’ avais lourde ment chuté au Tour d’Abu Dhabi, j’a vais failli mourir (il avait été victime d’une fracture de l’os temporal gauche).
Les médecins m’ avaient dit que je pouvais espérer remonter sur un vélo seulement au mois de mars suivant. Mais, en février, j’ étais déjà sur les courses et, dans le final à Roubaix, j’ étais déjà heureux d’être là pour la gagne. Ce fut le plus dur combat de ma vie et six mois après, jour pour jour, je finis quand même 2e de ce Paris-Roubaix. J’ai ragé pendant une minute après l’ arrivée, car j’ avais fait une seule erreur dans le final au sprint quand je ne vois pas Ha y man lancer son effort, en me replaçant, la porte était déjà fermée. Il a suffi d’ une seconde de dé concentration, car je voyais que ça revenait derrière (Ian Stannard, 3e et Sep Van marcke, 4e). Mais la déception est vite passée, je me suis souvenu de tout ce que j’ avais enduré depuis le mois d’ octobre à Abu Dhabi. Je me suis cons olé en me disant que j’ avais 35 ans déjà et c’ était pas mal d’ être encore sur le podium à Roubaix.
Ça avait été un soulagement quand vous avez arrêté votre carrière?
Oui, car mon accident m’ avait changé, mais pas seulement physiquement (il a perdu 70% de capacité auditive à une oreille ). Avant je me croyais certainement immortel, mais là j’ avais eu peur. Je pensais plus à mes jumelles, qui étaient né es peu de temps auparavant (en 2015), qu’ à cette cinquième victoire à Roubaix qui m’ avait échappé. J’en avais assez de prendre tous ces risques, de vivre avec ce stress en permanence.
Auriez vous voulu connaître cette génération des van der Poel et Pogacar?
Totalement! C’ est le cyclisme que j’ aime, attaquer et regarder ensuite derrière pour voir où sont les adversaires. C’ est aussi comme ça que je courais. Je suis né trop tôt en fait, ça m’ aurait trop plu de les affronter.
Ce n’ est donc pas une surprise pour vous devoir Pogacar sur Paris-Roubaix?
Mais non, ce terrain lui appartient aussi, surtout après avoir gagné deux fois le Tour des Flandres (2023, 2025). Sa place est là! D’ailleurs, je n’ ai jamais compris pourquoi en cyclisme les meilleurs ne cour aient pas toutes les courses du calendrier. Il y avait ceux des courses à étapes et, même ici, on faisait la distinction entre les courses flamandes et wallonnes. Je pense que le Cov ida changé les repères: pendant un an ou deux, il y avait moins de compétition set il a bien fallu courir, même des courses que certainszap paient auparavant. Heureusement, c’ est resté comme ça depuis et c’ est peut-être grâce à ça qu’ on a Pogacar sur les pavés.
Vous-regardez toujours Paris-Roubaix à la télévision?
Je n’ai pas loupé une seule édition, ni le Tour des Flandres, depuis ma retraite. J’ai tout suivi comme si j’étais encore coureur. Et aujourd’ hui, je suis toujours aussi nerveux, je suis dedans à fond. Je suis resté un vrai compétiteur, même quand je fais des courses auto mobiles. J’ ai toujours besoin de cette poussée d’ adrénaline comme quand j’ étais sur le vélo. Ça correspond tellement à mon caractère .»
***
EN BREF
44 ANS (BEL)
Professionnel de 2002 à 2017.
Palmarès: 7 Monuments (Tour des Flandres 2005, 2006, 2012; Paris-Roubaix 2005, 2008, 2009, 2012); champion du monde 2005; 6 étapes du Tour de France, 2 étapes du Tour d’Espagne; Vélo d’Or 2005.
14: le nombre de Paris-Roubaix disputés par Tom Boonen entre 2002 et 2017, pour quatre victoires et sept podiums (2e en 2006 et 2016, 3e en 2002).
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