Liverpool-PSG, leurres de vérité
11 Mar 2025 - Libération
Par Grégory Schneider
«Je savais la qualité de cette équipe [du PSG],
tout le talent qu’il y a chez eux. […]
Mais mes joueurs l’ont éprouvé sur le terrain.»
- Arne Slot entraîneur de Liverpool
Battus en huitième de finale aller de la compétition reine des clubs par les Reds (0-1), les Parisiens devront aller chercher leur qualification en quart chez les futurs champions d’Angleterre mardi. A Anfield, ils feront face à une équipe indéchiffrable.
Quelle est la langue officielle du foot ? Le mensonge. Allez slalomer entre les saucisses, dissimulations, éléments de langage au kilomètre et même, allons-y, les deals entre certains acteurs et quelques journalistes pour professer n’importe quoi. Battu Porte d’Auteuil en huitième de finale aller de Ligue des champions (0-1), le Paris-SG sera en rappel face à Liverpool ce mardi à Anfield, et l’entraîneur du club de la capitale, Luis Enrique, a brandi ses bobards en étendard devant les micros, samedi, à Rennes, après que Bradley Barcola et consorts eussent éparpillé (4-1) la formation bretonne : «Je vous ai menti.»
Sur trois fois rien. L’Asturien avait expliqué avant la rencontre de ce week-end «ne pas préparer» le huitième de finale retour à Liverpool, manière selon lui de ne pas déclasser les supplétifs (Lee Kang-in, Gonçalo Ramos, Warren Zaïre-Emery…) partis se fader l’ordinaire de la Ligue 1 au Roazhon Park à Rennes, alors que le capitaine brésilien et pilier de l’équipe, Marquinhos, restait au repos à Paris. Mais quand même. Les supplétifs en question se sachant supplétifs, Luis Enrique a d’abord menti pour mentir. Autant dire qu’il roule au milieu d’une séquence qui aura vu toutes les simulations et impostures venues se rouler dans la même crêpe, du storytelling d’Etat sur les vertus collectives jusqu’à la survalorisation de la performance du gardien de Liverpool, Alisson Becker, au Parc des Princes à l’aller (neuf arrêts, mais il est sous contrat pour ça) en passant par l’injustice faite par les dieux du football aux champions de France en titre. Ou encore le positivisme à tout crin –«on va passer» – des défenseurs parisiens Lucas Hernandez ou Achraf Hakimi, qui vaut ce qu’une récitation d’un élève de CE2 pèse sur un bulletin scolaire.
Secret des analyses vidéo
Chacun son rôle. En principe, les matchs servent justement à séparer le vrai du faux, mais ce huitième de finale aller fut embrouillé, difficile à lire, paradoxal. Il reste des gestes qui viennent de plus loin. On n’a pas fini de s’interroger sur l’attitude du grand défenseur liverpuldien Virgil
Van Dijk au coup de sifflet final : 33 ans, plus de 300 matchs avec les Reds, une deuxième place au ballon d’or en 2019, mais un joueur heureux comme un gosse, qui serre le poing comme s’il avait touché un accomplissement alors que son équipe, considérée comme invincible à l’échelle européenne quelques heures plus tôt, s’était fait censément balader (27 tirs à 2 pour le PSG) et qu’il reste une bonne moitié du chemin à parcourir ? Le soulagement ? Pas pour lui. Alors ?
Arne Slot, son entraîneur, a un peu éclairé la lanterne des présents. «La qualité de jeu de Paris aujourd’hui est incontestable, a-t-il expliqué. Toutes les lignes de statistiques, je le répète encore, montrent que le Paris-SG est la meilleure équipe d’Europe. Je savais la qualité de cette équipe, tout le talent qu’il y a chez eux. On a des top joueurs aussi mais notre gardien a dû faire beaucoup d’arrêts, et de gros arrêts. Moi, je savais déjà ce que je suis en train de vous raconter. Mais mes joueurs l’ont éprouvé sur le terrain. Et tous les fans d’Angleterre ont compris aussi. Ils ont créé tellement d’espaces, ils ont une telle façon de gérer la possession du ballon…»
Pour les joueurs, la preuve est faite. Mais Slot, lui, avait compris avant. Il n’est pas payé pour alimenter un mythe. Il ne vit pas dans le monde fantasmatique du storytelling, de la surpuissance de la Premier League (sept Ligues des champions ont échappé aux club anglais ces dix dernières années) et d’un atavisme qu’on invoque sur le front médiatique parce qu’on ne comprend rien à ce qu’il se passe ici et maintenant. Le coach néerlandais, qui a éprouvé le besoin de monter le son et de remplacer trois joueurs de son équipe à la mi-temps du match samedi face au FC Southampton (3-1), respire intimement l’univers du jeu. Et celui-ci se trame dans le secret des analyses vidéo, dans l’épluchage des datas, domaine dans lequel son club fut pionnier au début des années 2010, et dans ce qu’il sait de ses joueurs qui, à Liverpool comme partout, ne disputent plus un entraînement sans une puce électronique mesurant les distances parcourues, l’intensité et le reste. On veut dire que Liverpool est venu au Parc des Princes pour jouer derrière. L’image, ahurissante et à notre connaissance inédite, de l’ailier Luis Díaz laissant mourir en touche
un ballon qu’il a dans les pieds, acceptant ainsi de le rendre aux Parisiens et de s’exposer plus aux rafales qui ont soufflé sur son propre but, vaut mille mots. Mais elle ouvre aussi sur des lectures contradictoires.
«Rouler dans
la farine»
Si tout le monde a vu Van Dijk et ses coéquipiers descendre de leur piédestal, c’est que tout le monde est tombé dans le panneau : en vérité, ils en sont descendus avant le match. En changeant totalement leur approche habituelle dans leurs compétitions domestiques, adoptant un profil tactique prudent en abandonnant le ballon et le terrain pour mieux réduire les espaces. On peut imaginer que l’objectif était de juguler autant que possible les courses d’un Ousmane Dembélé ou d’un Bradley Barcola, les deux attaquants parisiens leur fichant une trouille bleue. En creux, Arne Slot laisse entendre que convaincre ses joueurs de baisser ainsi la tête n’a pas été simple.
La victoire de mercredi et les difficultés rencontrées ont cependant dû crédibiliser ses intuitions. Partant,
le Paris-SG n’a pas gagné la bataille du ballon et du pressing pour la bonne raison que son adversaire ne l’a pas disputée. «D’une certaine façon, ils se sont fait rouler dans la farine, nous a glissé un ancien entraîneur de Ligue 1. Tout en ayant fait à 95 % les choses bien.» Et remporté quelques combats quand même.
Hakimi y a vu la mesure du respect dont bénéficie désormais son équipe sur la scène européenne, cassant au passage l’idée d’une Ligue 1 tellement faible qu’elle grandirait artificiellement, par contraste, l’envergure de l’expression parisienne. Le Marocain a raison. Samedi, Arne Slot a répété n’avoir «jamais vu lors de l’un des matchs de Liverpool cette saison» l’intensité déployée par les Parisiens lors de la première mitemps contre Lille le 1er mars au Parc des Princes en Ligue 1 (4-0 à la pause, 4-1 au final).
Demeure cependant l’impression de quelque chose de trouble, entre le piège et l’illusion. Alimenté à la fois par le staff technique anglais, tout en modestie tactique ou oratoire, et les Parisiens qui ont d’autant moins de raison d’en rabattre sur leur propre niveau qu’ils ont besoin de certitudes, faute de repères dans un projet neuf qui aura vu les superstars – Lionel Messi, Neymar et Kylian Mbappé – s’évanouir depuis dix-huit mois.
Si le PSG a perdu le match aller, il y a évidemment des raisons. Et il s’est aussi fait manoeuvrer. A ce que l’on sache, le résultat sec, la ruse, l’adaptation, les effets de surprise sur la conduite d’une rencontre et même les grands matchs de gardien ne sont pas des appendices honteux du jeu de football. Et certainement pas non plus une part du diable qui frappe aveuglément. Ce sont des ressorts profonds, le coeur même de ce qui se trame au très haut niveau. Souvent mieux maîtrisés par les clubs expérimentés. Loin des micros, certains joueurs ont accusé le coup mercredi. En janvier, avant le match décisif contre Manchester City (4-2) qui allait permettre aux champions de France d’inverser la tendance en Ligue des champions et de rallier les huitièmes de finale, on a eu quelques échos d’un vestiaire las, découragé par la doxa de leur coach (notamment son obsession des changements de poste), au bord du ras-le-bol pour certains.
Tout Luis Enrique qu’il est, son travail d’entraîneur est strictement proportionnel à ce que ses joueurs ont envie d’en faire. Ceux-là ont retrouvé de l’allant et de la croyance depuis. Dembélé met même désormais but sur but (20 en 2025), ce qui allège considérablement l’ambiance dans l’équipe. Et l’ex-sélectionneur espagnol, requinqué, avance sans s’embarrasser du détail. «Le football permet des surprises, c’est sa magie, a-t-il explicité à Rennes samedi. Ce n’est pas toujours le plus riche [son club, ndlr] qui gagne. Quand on perd un match aller comme celui de mercredi, avec 27 tirs à 2 pour notre équipe, oui, on est triste. Mais ensuite, on a digéré cette émotion. On a repris nos esprits.» Il apparaît que Luis Enrique n’en a cure. Il occupe un espace à lui, quelque part entre conviction profonde, méthode Coué, passion sans limite pour le métier qu’il exerce et démonstration de force.
des Perdants magnifiques
Le match aller lui a même ouvert un intervalle alternatif, qui a longtemps nourri l’attachement que l’Hexagone portait à ses joueurs avant de disparaître du jour au lendemain dans les volutes du titre de champions du monde des Bleus en 1998 : celui des perdants magnifiques. Une sorte de delta sentimental entre la victoire et la défaite, auquel aucun footballeur que l’on a pu croiser en vingt-cinq ans ne croit (ils sont tous élevés à leur sport sous le prisme exclusif de l’efficacité) mais qui peut «prendre» dans l’opinion, surtout avec la force de frappe médiatique du mastodonte parisien. On veut dire que l’on peut toujours raconter l’histoire d’une certaine manière. Si on se délie du résultat sec, le «vrai» sous toutes les latitudes où un ballon roule, il y en a mille. Et il en va de ce fil narratif comme de la bataille du pressing mercredi lors du match aller : d’autant plus facile à dérouler que l’équipe adverse ne le conteste pas. Et elle ne le conteste jamais parce qu’elle s’en fout. Seule la qualification pour les quarts de finale se dispute. Et l’équipe parisienne devra aller la chercher à Anfield chez les futurs champions d’Angleterre, contre un public chauffé à blanc et un résultat initial défavorable, face à une équipe dont personne ne peut deviner le visage (timoré ou conquérant?) après l’étrange partition écrite par Arne Slot à l’aller. Il n’y a pas grand-chose de plus difficile. On conçoit que le club de la capitale se ménage quelques échappatoires en cas de malheur. Il ne faudra cependant pas s’y tromper.
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