«Seule la Ligue des champions déclenche de tels sentiments»
4 Mar 2025 - Libération
Par Grégory Schneider Envoyé spécial à Camphin-en-Pévèle (Nord)
Les joueurs de Lille Bafodé Diakité et Rémy Cabella se sont livrés sur leur attachement à la compétition reine des clubs avant le huitième de finale face au Borussia Dortmund, ce mardi.
«Dans la salle de soins, tu t’arrêtes, tu chambres.
A un moment donné, tout se passe ici.
Vous savez, c’est spécial un joueur. Un kiné est toujours un peu psychologue.»
- Rémy Cabella millieu de terrain du Losc
Une occasion suffisamment rare pour qu’on s’interdise de la laisser passer : quelques jours avant leur huitième de finale aller de Ligue des champions sur le terrain du Borussia Dortmund ce mardi (1), deux joueurs du Lille Olympique Sporting Club (Losc), le milieu de terrain Rémy Cabella (34 ans, né à Ajaccio en Corse-du-Sud) et le défenseur central Bafodé Diakité (24 ans, né à Toulouse en Haute-Garonne), ont accepté de bon coeur de se poser longuement pour évoquer leurs rapports respectifs à la compétition reine des clubs, celle qui fait rêver tous les footballeurs de la planète.
L’idée était de leur faire décrire une boucle cosmique embrassant l’infiniment petit et l’infiniment grand, l’appréhension de la compétition enfant devant la télévision dans le salon familial jusqu’aux équilibres collectifs et sociaux d’une équipe lilloise qui a déjà réalisé un début de compétition exceptionnel, battant les deux équipes de Madrid, l’Atlético et le Real, à trois semaines d’intervalle ou désintégrant (6-1) une équipe du Feyenoord Rotterdam capable de sortir le Milan AC voilà deux semaines. Au-delà de la compétition et même du foot, c’est tout le spectre des émotions qui y passe, depuis la colère d’un enfant qui a l’impression d’avoir son père sur son dos en permanence jusqu’à la fierté d’exister différemment dans l’oeil des adversaires, en passant par ces blagues de vestiaire qui font tenir ensemble des joueurs aux intérêts divergents (on prend toujours la place de quelqu’un quand on est sur le terrain), ou la forme de culpabilité qui étreint un joueur blessé, ne pouvant rendre à son employeur ce pour quoi il est payé.
Quel rapport aviez-vous, enfants, avec la Ligue des champions ?
Rémy Cabella : C’était le match spécial, celui qu’on attendait avec mon père et mon frère, celui du milieu de semaine. Magique : une finale, le match de Ligue des champions se suffit en soi. Comme j’avais école le lendemain, mon père me demandait d’aller dormir à la mi-temps. Je devais faire la petite crise pour aller au bout (sourire). Quand il m’entraînait au Gazélec Ajaccio, il était plus exigeant avec moi qu’avec qui que ce soit d’autre.
Peut-être que je lui servais à montrer l’exemple ou que c’était plus facile d’engueuler son fils. Enfin moi, je le prenais mal, d’autant que j’étais impulsif. Parfois, je partais en plein entraînement, je traversais la route et j’étais chez moi. Dans la cuisine, ma mère me disait «mais qu’est-ce qu’il s’est encore passé ?» Dès que je loupais un truc, mon père, lui, ne me ratait pas. Et de mon côté, j’aimais m’embrouiller.
Bafodé Diakité : Je n’étais pas trop foot à la télé. J’allais voir le Toulouse FC au Stadium mais je ne faisais pas trop la différence entre la Ligue 1 et la Ligue des champions, ni le lien entre le TFC [éliminé par Liverpool au tour préliminaire en 2007-2008, ndlr] et cette compétition. Mon frère m’avait inscrit quand j’avais 6 ans au Toulouse Athlétic Club parce que c’était à côté de chez nous, mais j’esquivais les entraînements. Quand il s’en est rendu compte, il m’a accompagné à chaque fois. Je n’aimais pas trop avoir quelqu’un derrière moi, à me pousser alors que j’étais en train de jouer. Je n’aimais ni les règles, ni être assigné à une position. Je n’aimais même pas les lignes qui délimitent le terrain. En revanche, quand je jouais à l’école, je kiffais, je courais dans tous les sens ! Je ne m’arrêtais pas, il n’y avait pas de bord de touche. Quelle a été votre réaction quand vous avez accédé pour la première fois à cette compétition ?
R. C. : Un match à Rennes en mai 2012 avec le Montpellier Hérault [MHSC, victoire 2-0 en Ligue 1] à deux journées de la fin, dans le car du retour. Quand tu es jeune, tu ne regardes pas trop les classements, je trouvais aussi qu’il y avait trop de trucs qui se rajoutaient au jeu. Du coup, j’ai demandé aux autres si c’était mathématiquement fait, avec une marge suffisante pour ne pas être rattrapé par le troisième [les deux premières places étant qualificatives pour la Ligue des champions – le MHSC sera en fait champion deux jours plus tard]. «Oui, on y est…» «Mais si on en prend sept, qu’on perd le goal-average et que Marseille fait ça…» «Non, tu peux te rasseoir, on la joue la saison prochaine…» J’ai compris que j’allais la jouer, enfin… alors que je n’avais que 22 ans. Qui plus est avec Montpellier. Ça avait forcément un goût spécial. J’étais rentré en préformation [dès 11 ans], on était logés chez les soeurs, à la congrégation Notre-Dame-dela-Merci. Et beaucoup de joueurs de l’équipe avaient été formés avec moi : Abdelhamid El Kaoutari, Younès Belhanda, Mapou Yanga Mbiwa, Benjamin Stambouli…
Je me rappelle un jour où le directeur du centre de formation, Serge Delmas, avait réuni tout le monde, des apprentis joueurs aux parents en passant par les encadrants: «Cette génération-là disputera la Ligue des champions.» Le MHSC était en Ligue 2 à l’époque. Mais il ne s’est pas trompé. Et cette phrase nous avait suivis durant tout le chemin, on en reparlait souvent avec Stambouli par exemple. Quitter la Corse avait été très difficile. Au fond, plus tu es loin de ta famille, plus tu t’en rapproches. Comme mes parents devaient prendre l’avion pour rentrer chez eux, ils partaient de Montpellier le dimanche vers 18 heures, alors que ceux des autres les laissaient après le repas du soir. Après quelques mois, mes parents se sont arrangés pour ne partir que le lundi matin. Pour moi, ça faisait une grande différence.
B. D. : J’étais dégoûté. On a manqué la qualification directe contre Nice lors de la dernière journée [2-2 avec le Losc en Ligue 1, le 20 mai 2024], je n’avais clairement pas fait un bon match, j’étais mal. Quand je suis rentré aux vestiaires, je me suis mis dans le coin balnéo avec une serviette sur la tête et je suis resté longtemps là, tout seul. Je me suis dit «voilà, ça recommence comme l’année d’avant», où le Losc avait basculé de l’Europa League à la Conference League.
Comment avez-vous vécu l’approche de votre première Ligue des champions ? B. D. : En barrage cette année, on a pris le Fenerbahçe Istanbul entraîné par José Mourinho [deux fois vainqueur de la Ligue des champions avec Porto en 2004 et l’Inter Milan en 2010] : gros club, grand nom (sourire). A ce stade, tu n’as pas encore droit à l’hymne de la Ligue des champions ou aux ballons de la compétition, chaque équipe joue avec le sien. La musique et les ballons viennent ensuite, au tour préliminaire contre le Slavia Prague [2-0, 1-2, en août]. On est rentrés petit à petit. Mais puisque ces matchs nous donnaient accès aux poules, il y avait une excitation différente, oui. R. C. : On était insouciants. On recevait Arsenal à Montpellier pour le premier match [en 2012]. La mise au vert avant le match avait eu lieu dans un hôtel différent de celui où nous avions nos habitudes en Ligue 1, sans doute pour marquer le coup, une bonne idée.
L’entraînement de la veille avec la panneautique différente du stade, les ballons avec le design de la compétition, l’arrivée au stade : tout est différent. René Girard, notre entraîneur, était très droit, très cadré, ce qui nous a justement permis de faire vivre ce côté léger qu’on avait. On a eu un penalty très tôt dans le match, devant la tribune Paillade [où sont placés les supporteurs historiques du club]: premier match de toute l’histoire du MHSC en Ligue des champions et Belhanda frappe… une panenka [frappe piquée et molle plein centre, où le tireur prend le risque de se ridiculiser si le gardien n’anticipe pas en plongeant sur un côté]. Vous vous rendez compte du culot ? Je vous assure que même s’il l’avait loupée, personne ne lui en aurait voulu, on était dans cet état d’esprit-là. A Arsenal, il y avait Olivier Giroud, qui avait été champion de France avec nous quelques mois plus tôt. On ne va pas se mentir : si tout le monde a eu son mérite, ce titre, c’est d’abord Giroud et Belhanda. Ces deux-là se connaissaient par coeur. Juste avant le penalty, Giroud hurle «chip, chip !» [«piqué, piqué !»] à son gardien. Il avait senti le truc. Mais le gardien d’Arsenal ne l’avait pas entendu. B. D. : Clairement, la Ligue des champions se confond avec l’ambition sportive. Tu te confrontes au top du top et la question est «qu’est-ce que je vaux» ? Tu vas chercher cette réponse-là.
A quoi ressemble une rencontre de Ligue des champions ?
B. D. : J’ai un exemple en tête contre la Juventus [1-1, le 5 novembre]. Je reçois une passe simple de Ayyoub Bouaddi et le ballon passe au-dessus de mon pied droit, je manque mon contrôle une quinzaine de mètres devant ma surface. Cinq secondes plus tard, c’est but. Heureusement pour moi, il est refusé pour hors-jeu mais ça ne change rien sur le fond : tu n’as pas le droit de rater ce contrôle-là. En Ligue 1, ça peut passer, enfin pas toujours. En Ligue des champions, le ballon est au fond. R. C. : L’intensité est différente. Ça va plus vite, sans temps d’arrêt. Et les joueurs sont très intelligents, tout est calculé, le rythme, les sorties de balle… Les équipes ne se précipitent pas. Et si elles le font, c’est pensé.
B. D : Ce ne sont pas les mêmes joueurs. En Ligue 1, tu peux affronter un attaquant qui va très vite ou un autre qui est fort techniquement, ou encore un monstre physique… Alors qu’un joueur comme Viktor Gyökeres [du Sporting Lisbonne, qui a battu Lille 2-0, le 17 septembre], il a tout à la fois : costaud physiquement, adroit devant le but, très rapide… et dans le jeu d’appui dos au but [pour garder le ballon puis remiser quand ses coéquipiers sont remontés sur le terrain], il est fort aussi. Tous les curseurs sont au maximum. Je me souviens également de l’attaquant serbe de la Juventus, Dusan Vlahovic. Sur un centre de la droite, je sais qu’il va prendre le ballon et je me dis que j’ai le temps d’être sur lui parce qu’il va jouer en deux touches, une pour contrôler et une pour frapper. Sauf qu’il ne contrôle pas. Il frappe direct. Sans même avoir besoin de regarder le but. Du coup, je ne peux pas intervenir et c’est Lucas [Chevalier, le gardien lillois] qui sauve le coup. En Ligue 1, le mec contrôle à tous les coups. Ça tient sans doute au profil de Vlahovic, mais pas seulement : en Ligue des champions, ce ne sont pas les mêmes matchs.
R. C.: Après Montpellier, j’ai joué la Ligue des champions avec le FK Krasnodar en 2019. Je me suis rompu les ligaments croisés après quelques matchs, une blessure grave, qui demande du temps. Le propriétaire du club [l’oligarque Sergueï Galitski] m’a rassuré : «Ne t’inquiète pas pour ton contrat, prends le temps de revenir, je prendrai des joueurs pour faire l’équipe autour de toi la saison prochaine.» Entendre ça dans ce contexte, alors que je n’avais pas pu donner ce pour quoi on m’avait fait venir, m’a fait du bien. Dix mois plus tard, on jouait les barrages contre les Grecs du PAOK Salonique: je marque à l’aller, je marque au retour et l’entraîneur me rappelle sur le banc. J’ai vécu la fin du match avec les remplaçants, des jeunes joueurs russes. Je n’oublierai jamais ce que j’ai ressenti avec eux au coup de sifflet final. Ils sautaient partout, ils me prenaient dans leurs bras, je n’avais pas besoin de parler leur langue pour sentir à la fois l’importance que ce match avait pour eux et la forme de gratitude qu’ils avaient envers moi. Je veux dire qu’on l’avait fait ensemble. Le club m’avait soutenu, j’avais fini par montrer que je n’étais pas là pour le salaire ou passer du bon temps mais pour le foot, gagner des matchs, tenir des objectifs. J’ai créé des liens forts avec eux ensuite. Mais tout est parti du barrage contre Salonique, et il n’y a que la Ligue des champions pour déclencher ces sentiments-là.
Choisissez un match, un seul, disputé par le Losc en Ligue des champions cette saison.
R. C. : La victoire contre le Real Madrid [1-0, le 2 octobre]. Tout simplement parce qu’il s’agit du plus grand club de l’histoire du foot. Il n’y a rien d’équivalent. On a été rigoureux, concentrés, justes. Les joueurs n’ont pas commis d’erreur. On l’avait bien préparé, notamment avec un bloc défensif en arc de cercle pour empêcher leurs défenseurs de jouer long en profondeur ou sur les côtés : s’ils le font depuis leur camp ça va, on peut anticiper, mais s’ils jouent long depuis le rond central, là… On a été solidaires c’est vrai, mais pas plus là qu’ailleurs : dès le barrage contre Fenerbahçe, cette solidarité est là. Et elle va des joueurs au président [Olivier Létang], en passant par le staff et toutes les strates du club.
B. D.: Avant le Real, l’entraîneur Bruno Genesio avait insisté sur le fait d’y croire. Le Real n’avait pas perdu depuis plusieurs mois : pour autant, on devait se dire qu’on pouvait le faire, tout commence par là. Après, je pense surtout à la réception du Feyenoord Rotterdam. Avant le match, on était sûrs d’être dans les 24 premiers de la phase de groupe [c’est-à-dire qualifiés pour les 16e de finale], mais la chance d’être dans les huit [et directement en huitième de finale] était mince. Du coup, on était relax. On était privés de notre capitaine Benjamin André, certains titulaires au coup d’envoi [Angel Gomes, Mohamed Bayo] ne jouaient pas souvent, d’autres [comme Cabella] n’évoluaient pas à leur poste… On a pris le truc comme il venait. Sans pression. Et il s’est passé quelque chose de magique, quelque part entre l’état d’esprit des joueurs et les intentions qu’on a mises dans ce match. J’ai senti une immense volonté d’impacter l’adversaire offensivement, de faire mal à leur défense.
Depuis le début de saison, les joueurs insistent tous sur la qualité de la vie dans le vestiaire, qui explique aussi les résultats de l’équipe. Avez-vous une anecdote pour l’illustrer ?
B. D. : Pas facile, votre question… Je dirais l’arbitrage. A l’entraînement, c’est Dimitri [Farbos, coach adjoint] qui arbitre les oppositions. Et ça râle tout le temps, ça crie, notamment Rémy [Cabella] qui n’est jamais d’accord sur rien (sourire). Quand Dimitri passe une tête dans le vestiaire ensuite, on demande exprès au coach ce qu’il en a pensé et à chaque fois, il lâche Dimitri «il a été nul», etc. Du coup, [Farbos] surjoue la trahison, ça fait rigoler tout le monde… Ce sont ces moments-là qui font l’ambiance dans le vestiaire, les liens entre les gens. Parce qu’ils sont partagés par tous.
R. C. : A la fin de la saison dernière, j’ai fait un pari avec les kinés : si on se qualifie pour la Ligue des champions, je vous invite un weekend en Corse. Bon, après la dernière journée, je leur explique que c’est annulé. «Mais comment ça, annulé ?» Ben oui, on n’était qu’en barrage. Bon, ils ne lâchent pas. Quand on a été sûrs d’être dans les 24 premiers, ils ont commencé à négocier quelques jours en plus, la location du bateau… Là, avec la qualification dans les huit, j’ai entendu parler de la semaine complète (rires). Dans un club, le service médical est fondamental. Tu ne fais que passer dans le vestiaire alors que dans la salle de soins, tu t’arrêtes, tu chambres, tu parles du match de la veille, de ce qui se passe dans le monde… A un moment donné, tout se passe dans la salle des kinés. Vous savez, c’est spécial un joueur. Un kiné est toujours un peu psychologue.
Pour en revenir à Dortmund et même à l’ordinaire du championnat, n’y a-t-il pas un risque de «redescendre» en termes d’émotions ou d’exigence après ce qui a été accompli cette saison ?
B. D. : Pourquoi voudrais-je que ça s’arrête ? Pourquoi devrais-je moi-même mettre un frein à nos propres ambitions ? Parce qu’on a déjà battu le Real et Vinicius ? Justement : c’est parce que je m’en suis sorti contre Vinicius – je le cite lui, mais j’aurais pu prendre un autre joueur –, que je dois impacter de la même façon l’attaquant du SCO d’Angers ou de Rouen [que Lille a affronté en décembre en Coupe de France]. Que le mec se dise avant la rencontre : il a su prendre Vinicius et je vais y avoir droit pareil. Il va me faire vivre l’enfer. R. C.: Avec Bafodé, on se dit souvent qu’on est les microbes de la Ligue des champions. Comme peut l’être le RC Strasbourg en Ligue 1 : je sens ça chez eux, ce côté foufou, enthousiaste et imprévisible, pas forcément programmé pour faire aussi bien que ce qu’ils font en ce moment. Bien sûr que ça nous coûte en termes d’énergie, on est sur le pont depuis juillet et on a déjà avalé 38 matchs. On a un effectif large aussi, capable de nous porter longtemps. Je veux dire que cette dynamique est un atout dont on doit profiter, au-delà de l’accumulation des matchs et de la fatigue. On est en train de se faire des souvenirs extraordinaires.
(1) Coup d’envoi à 21 heures, en direct sur Canal +.
***
PSG-Liverpool: un corps-à-corps entre tête et coeur
La confrontation entre les deux mastodontes mercredi se dessine comme une opposition de styles, entre un club parisien gouverné par la discipline et des Reds portés par un engagement atavique.
Sept mois de compétitions à blanc ou peu s’en faut, et enfin le grand soir: le Paris-SG va passer au révélateur mercredi, en huitième de finale aller du tournoi roi, la Ligue des champions, contre le Liverpool FC, prétendument «meilleure équipe d’Europe» (l’entraîneur parisien, Luis Enrique, samedi) animée par le possible meilleur joueur du monde (ça, c’est nous qui le disons), Mohamed Salah. Sept mois à amuser le tapis, en se jouant d’équipes inférieures comme un grand de troisième casserait la figure aux infortunés sixièmes dans la cour du collège ?
Non, à écouter les Parisiens. Trois équipes de Ligue des champions se sont fait tartiner depuis un mois par Bradley Barcola & co (4-1 contre l’AS Monaco le 7 février, 3-0 et 7-0 face au Stade brestois les 11 et 19 février, 4-1 devant Lille samedi en championnat) et les acteurs, enfin ceux qui parlent publiquement et ils sont rares dans la cosmologie du club, ont tous insisté sur la crédibilité sportive de ces trois-là sur le front européen. Ce week-end, le capitaine et défenseur, Marquinhos, a donné un peu de perspective en parlant travail au long cours : «Un match comme celui qui nous attend contre Liverpool ne se prépare pas en deux, trois jours. Vous nous dites qu’on joue bien en ce moment, mais la vérité est qu’on est bien depuis un bout de temps déjà. Et on est focalisés sur le match de mercredi depuis longtemps aussi. Si on compare avec les saisons précédentes, comme le coach l’a dit, on s’appuie plus sur une articulation collective [et moins sur le talent individuel des uns et des autres, faut-il entendre, ndlr]. Ça n’a pas été facile. C’est une évolution lente, qui a nécessité un travail patient. Et le coach n’est jamais content, il a toujours quelque chose à dire. Je respecte beaucoup les entraîneurs que j’ai eus à Paris avant lui, et les joueurs qui étaient là les saisons précédentes. Mais ce qui est passé est passé.»
A commencer par les penaltygates (deux joueurs se disputant le ballon pour exécuter la sentence) à répétition, un Kylian Mbappé qui se désintéresse ostensiblement de l’action en plein match ou charge ses coéquipiers pour marquer son mécontentement et autres délicatesses (Lionel Messi qui marche tout le match, Presnel Kimpembe qui pousse impunément un arbitre) qui ont fait le sel des prestations parisiennes ces dernières saisons. Les tenants de l’obéissance et de la contrainte y trouvent leur compte, on peut tout aussi bien trouver ça moins rigolo, l’équipe gagne les rencontres aujourd’hui comme hier mais il est vrai que les soirs de match porte d’Auteuil ont glissé depuis quelques mois vers autre chose.
Moule. De plus ludique en un sens. De plus abstrait aussi, comme si l’impression générale laissée par l’expression collective parisienne primait sur la qualité des détails – technique individuelle, engagement dans les duels – dans l’oeil du spectateur. Ce sentiment d’irréalité trouve un écho statistique. Ecrasés l’un et l’autre en début d’année, Manchester City (4-2 le 22 janvier) et le Stade brestois ont pourtant couru cinq et trois kilomètres de plus que les Parisiens, ce qui laisse deviner une supériorité infiniment subtile dans les réglages d’ensemble et la qualité des mouvements des champions de France en titre. On parle là de la précision des courses et de leur intensité. Recrue star du mercato hivernal du club, puisqu’il aura coûté entre 70 et 80 millions d’euros, le Géorgien Khvicha Kvaratskhelia a pour l’heure moins de temps de jeu que ses trois concurrents sur les postes d’attaque : Ousmane Dembélé, Bradley Barcola et le jeune (19 ans) Désiré Doué. Il faut entendre qu’il en va de l’ex-Napolitain comme des autres. Il doit rentrer dans le moule. Et ça s’apprend.
Dans le même ordre d’idées, le Paris Saint-Germain est l’équipe la moins cartonnée de l’Hexagone, 28 jaunes et pas la moindre expulsion, l’équipe se situant à la cinquième place au plus petit nombre de fautes par match (9,3) si l’on prend en compte les cinq premiers championnats européens à l’indice UEFA. «Je ne parle jamais des arbitres, détaillait Luis Enrique vendredi. Nien France, nien Espagne [où il a entraîné le FC Barcelone avant d’être sélectionneur], ni ailleurs. Si je dis ce que je ressens parfois, ce sera difficile. Je ne veux pas rentrer là-dedans. Je dis la même chose aux joueurs par rapport à l’arbitre. Ils savent qu’ils ne doivent pas protester. […] Cela m’évite beaucoup de souffrance de ne pas protester.»
Trait d’union. Une équipe comme une force de contention. Entre le séminaire et la projection athlétique d’une vision ne pouvant être parasitée ni par les émotions ni par l’instinct. Cette histoire renvoie à une image lointaine : ces mystérieuses équipes soviétiques du siècle dernier, qui se figeaient au coup de sifflet à l’entraînement ou pendant les rencontres et que l’on envoyait s’exercer aux penaltys pendant trois heures en plein cagnard si l’un d’eux avait eu le malheur d’en rater un en match. Un fantasme collectiviste. Après que son équipe eut été secouée (2-3) comme rarement en Ligue 1 contre l’Olympique lyonnais voilà dix jours, Luis Enrique avait levé un coin de voile et certains présents avaient lu dans la clarté du message la proximité d’une double confrontation contre Liverpool qui, dans un sens ou dans l’autre, changera beaucoup de choses : «Quand on joue trop avec le coeur, on ne joue plus avec la tête.» Le coeur, l’instinct, une forme de bestialité aussi dans l’intensité physique et la propension à agresser l’adversaire jusqu’à son propre poteau de corner : le Liverpool d’hier et d’aujourd’hui, trait d’union à cheval sur quatre générations et autant de modes successifs de consommation du football. Les Parisiens sont partis à l’opposé. Verdict mercredi, puis le mardi suivant pour le retour à Anfield.
***
Le traumatisme de 2022 dans les têtes
Trois ans après la débacle sécuritaire autour du Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions, le 28 mai 2022, les fans des Reds reviennent à Paris. Mais certains ont choisi de rester sur les bords de la Mersey, traumatisés par les tirs de grenades lacrymogènes de la part des forces de l’ordre, les bousculades dangereuses et les agressions à la sortie de l’enceinte. L’association en soutien aux victimes d’Hillsborough, créée après le mouvement de foule qui a coûté la vie à 97 fans de Liverpool en 1989, a notamment fait savoir à l’Equipe que ses membres ne se rendront pas au match. Des mesures ont pourtant été mises en place pour rassurer les supporteurs des Reds : des billets électroniques remplacent notamment les billets imprimés pour éviter les rassemblements lors de la distribution des sésames ou les vols. Une réunion spécifique a aussi été organisée par la préfecture de Paris avec des groupes de supporteurs autour des enjeux sécuritaires de la rencontre. Deux mille fans anglais devraient être présents.
Commenti
Posta un commento