«Le vestiaire, c’est le début de l’aventure, tout part de là»
Juste avant le quart de finale de Coupe de France de Guingamp (Ligue 2) à Cannes (National 2) ce mardi, immersion dans l’intimité du collectif costarmoricain, empreint de solidarité, par le biais de ses deux meilleurs buteurs, Amine Hemia et Jacques Siwe.
«Tu ne choisis pas d’être là ni ceux avec qui tu es là.
Tout le monde partage un objectif commun.»
- Amine Hemia joueur de l’En avant Guingamp
- Amine Hemia joueur de l’En avant Guingamp
25 Feb 2025 - Libération
Par GRÉGORY SCHNEIDER Envoyé spécial à Guingamp (Côtes-d’Armor)
Photo FABRICE PICARD
Vendredi à Grenoble, les joueurs de l’En avant Guingamp (Ligue 2) ont porté avant le match un maillot en hommage à la soeur d’un membre du staff, décédée en fin de semaine dans un accident de la route. Le vestiaire : les liens qui se créent puis qu’on cultive, des gens qui cohabitent un ou deux ans (rarement plus dans le foot d’aujourd’hui), les lignes de forces qui peuvent porter un groupe ou au contraire le désagréger, des règles ou codes à respecter alors que les joueurs viennent désormais de l’ensemble de la planète. Alerté par un membre du staff sur la tenue exceptionnelle («je ne les ai pas entendus parler de cul en sept mois») et profondément solidaire régnant cette année dans le vestiaire guingampais, on s’est posé avec les deux meilleurs buteurs du club, Amine Hemia (27 ans, né à Saumur dans le Maine-et-Loire) et Jacques Siwe (23, Saint-Maurice dans le Valde-Marne) quelques jours avant le quart de finale de Coupe de France des Costarmoricains à Cannes (National 2, 4e échelon) ce mardi. Histoire de lever, à travers les témoignages du milieu offensif et de l’avant-centre, un coin de voile sur le foot professionnel.
Qu’est-ce qui vous a frappé quand vous avez découvert un vestiaire professionnel ?
Amine Hemia: J’ai connu mon premier vestiaire professionnel en juillet (sourire). Pas vraiment de différence par rapport à ce que j’avais connu [à Chartres ou Martigues, ndlr] mais une exigence accrue. Les joueurs arrivent 1h15 avant le début de l’entraînement par exemple, tout le monde passe en salle [musculation, soins…] Tu es obligé de te discipliner aussi.
Jacques Siwe: Les fruits ! Et la boisson sur les tables du vestiaire après l’entraînement. J’y allais direct après avoir ramassé le matos [ballons, piquets…] parce que c’est toi qui ranges le matériel quand tu es plus jeune. La musique aussi. Il y a toujours un joueur qui s’en occupe. A Guingamp, c’est Brighton Labeau, et il met des sons français, américains, des trucs antillais aussi parce qu’il est originaire de là-bas… C’est aussi un rituel. La musique te met dedans direct. Non seulement ça réveille mais elle met tout le monde dans le même sens, la même ambiance. Elle égalise l’humeur entre les joueurs. Et elle donne un sujet de conversation, même pour dire que tu n’aimes pas ce qui passe. Qui dit vestiaire professionnel dit concurrence exacerbée, avec deux joueurs sur trois sur le banc ou écartés. Ne complique-telle pas la vie des joueurs quand ils sont entre eux ?
A.H. : Pour moi, la concurrence n’a jamais été un frein. Et je ne pense pas qu’elle soit liée au football. L’esprit de compétition ou de rivalité est profondément humain : il traverse toutes les activités, professionnelles ou non. Un concessionnaire de voitures doit faire son chiffre, on va le comparer. Alors oui, pour un joueur, cette concurrence est directe, immédiate. Mais il y a de la place pour beaucoup de monde dans le foot, sans même avoir besoin de changer de club. Aucune équipe ne tient toute une saison avec treize, quatorze joueurs. Il y a la lassitude physique, mentale, les blessures… Même Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo sont parfois moins bien, alors que l’on parle d’extraterrestres. Pour en revenir à la question, je n’ai jamais eu l’impression qu’il y avait un lien entre les enjeux et la qualité de la vie du vestiaire. L’ambiance prend ou pas. On peut même penser que plus le niveau monte, plus l’aspect collectif, c’est-à-dire les liens entre les joueurs, est important.
J.S.: Le foot est dur. Quand Georges Mikautadze [attaquant de l’Olympique lyonnais et international géorgien] signe à l’Ajax d’Amsterdam et qu’il ne joue pas pendant six mois sans que personne ne lui parle… Je veux dire que tu es tout seul. Il y a tout ce que les gens voient, et ce qu’ils ne voient pas : les pros qu’on envoie s’entraîner avec la réserve alors que c’est [légalement] interdit pour les pousser à partir, le mec qui souhaite que tu te fasses mal parce qu’il joue à ton poste… Dans ce contexte, je trouve le vestiaire de l’En avant Guingamp très protecteur. Là comme ailleurs, la règle est la même : ce qui se dit à l’intérieur reste à l’intérieur. Tu peux ne pas aimer une séance par exemple. Mais on en parle. Une fois, à l’entraînement, je me suis pris la tête avec un joueur, «vas-y cours», «tu n’as qu’à le faire»… Le ton est monté. J’ai tué la séance. On a réglé ça dès le retour au vestiaire avec les cadres. Il ne fallait pas traîner : si tu rentres chez toi en colère, ta femme prend, ceux qui t’appellent prennent aussi et le truc devient difficile à arrêter. Ce sport pousse les émotions, tu t’énerves comme jamais ou tu es heureux comme jamais. Quand on est allé voir l’entraîneur ensuite, l’histoire était déjà terminée.
«Tu ne choisis pas d’être là ni ceux avec qui tu es là. Tout le monde partage un objectif commun.»
Amine Hemia joueur de l’En avant Guingamp Ya-t-il un moment ou une rencontre qui ont compté ?
J.S. : La saison passée, on était quatre attaquants pour deux postes. Et avec Gaëtan Courtet [36 ans, aujourd’hui à Dunkerque, 118 buts et près de 500 matchs en professionnel], on ne jouait pas beaucoup. Il a senti que j’avais du mal. Il m’a dit : «Voilà, ça ne sert à rien de t’en prendre à tout le monde, tu as le potentiel pour aller plus loin alors bosse pour toi.» Il m’expliquait que je ne devais pas brûler mes cartes. Ecoute : si tu me donnes la carrière de Gaëtan, je la prends cent fois. Aujourd’hui encore, il met des buts incroyables.
A.H. : J’ai eu une relation spéciale avec Foued Kadir à Martigues. Il ne faisait jamais de grand discours. Il aimait parler avec les jeunes, il fallait voir ce qu’il était encore capable de faire à 40ans et, même si je pense être plutôt sérieux, j’avais beaucoup à apprendre de lui en termes de professionnalisme: les massages après les séances, bien manger, bien dormir, les bains froids… Il m’a mis en tête que si je voulais jouer au haut niveau au-delà de 30, 32 ans, ça se jouait tout de suite. On partageait beaucoup de choses sur l’Algérie [dont Hemia est originaire], il me racontait la Coupe du monde 2010 qu’il avait disputée et la folie autour de la sélection, qui transforme le moindre match amical banal en finale. On avait une sensibilité en commun, les beaux gestes, les actions avec des passes en une touche… le foot espagnol, en fait. Au-delà de ça, Kadir adore le foot. Il aime se lever le matin. Qu’est-ce qui différencie, au fond, un joueur professionnel de quelqu’un qui ne l’est pas ? A.H. : On est vus différemment des autres mais on ne l’est pas. Quand la gendarmerie a organisé la battue du 29novembre à Pabu [où se trouve le centre d’entraînement du club] pour retrouver la jeune fille de 13 ans qui avait disparu [Morgane Rivoal, retrouvée saine et sauve à Coutances dans la Manche dix jours plus tard], c’était une veille de match. Mais on a annulé l’entraînement et on y est allés comme les autres.
J.S. : N’importe quel club avec un minimum de conscience se serait comporté comme nous. Toute la ville était mobilisée. On allait faire quoi, taper dans le ballon alors que les gens se dispersaient dans les bois tout autour pour chercher la personne disparue? Parfois, les gens nous voient comme des stars. On n’a rien à voir avec tout ça. Mijanvier, alors qu’on était en déplacement à Annecy, Kalidou Sidibé a entendu une fille crier parce qu’on venait de lui voler son téléphone. Il a couru après le mec, l’a rattrapé et l’a immobilisé en attendant la police. Il n’a à aucun moment levé la main sur le voleur, il ne s’est même pas permis de le tutoyer quand il lui a expliqué que c’était mal. C’est la classe, d’accord, mais ça reflète tout simplement son éducation. Je veux dire : c’est bien et ça s’arrête là, il a fait ce qu’il estimait devoir faire sans vouloir en tirer des bénéfices en termes d’image, il n’est pas comme ça. Il ne souhaitait d’ailleurs pas que ça sorte dans les médias. C’est sorti et je pense que les gens qui ont lu ça se sont dit que c’est un mec bien.
A.H. : Il était à la traîne dans le hall de l’hôtel où c’est arrivé, c’est pour ça que c’est tombé sur lui (rires). Ça a pris de l’ampleur, cette histoire a été médiatisée mais si vous posez la question à Kalidou, il vous dira qu’il a fait son devoir de citoyen. Ni plus, ni moins. C’est quelqu’un d’assez réservé. Bon, on l’a applaudi quand même, plutôt pour le chambrer d’ailleurs (sourire).
Comment quantifieriez-vous l’importance de ce qui se passe dans le vestiaire ?
J.S. : Ce matin [le 18 février], on a fêté les 100 matchs avec Guingamp de notre capitaine, Dylan Louiserre. Je pense que ce sont ces moments-là qui resteront après ma carrière. Tu te souviens de certains matchs marquants bien sûr. Mais ce sont les rencontres, les mecs avec qui tu étais dont tu te souviendras d’abord.
A.H. : Tu passes moins de temps avec les autres sur le terrain qu’en dehors. Ça crée forcément des liens. Pour moi, le vestiaire, c’est le début de l’aventure: tout part de là. Et dans la notion de «vestiaire», j’inclus le staff médical, les intendants, etc. Quand j’étais à Martigues, on avait un match en Corse et les joueurs s’étaient cotisés pour payer le billet d’avion d’un bénévole qui s’occupait du matériel. Même quand tu es à l’école, en classe, ce n’est pas comme ça. Tu ne choisis pas d’être là ni ceux avec qui tu es là. Dans un vestiaire, tout le monde a le même centre d’intérêt et partage un objectif commun. Si tu gagnes le week-end, tu reviens dans le vestiaire. Si tu perds, tu y reviens aussi. Tu as besoin des mecs quelle que soit la situation.
J.S. : L’importance du vestiaire doit aussi être appréhendée en termes de progression individuelle. Quand je suis arrivé ici, j’avais une connaissance commune avec [le défenseur] Maxime Sivis, qui est parti cet été au Dinamo Bucarest. Il y a souvent, au départ, un petit truc en commun – un agent, un ancien coéquipier, le fait que tu as grandi dans le même coin – qui te rapproche d’un joueur. Sivis n’avait que trois ans de plus que moi, mais il m’a pris sous son aile. Il me disait la vérité. Il avait remarqué que je réussissais des actions vraiment difficiles mais qu’ensuite, je ratais la passe qui aurait permis de faire avancer le jeu. Il m’a donc expliqué qu’il fallait travailler la concentration. C’est quelque chose qui est resté.
Quelle est l’erreur à ne pas faire dans un vestiaire ?
A.H. : Dans celui de Guingamp? Venir avec une sale coupe de cheveux (il éclate de rire) ! Ah mais ici, ça ne pardonne pas ! Il y en a qui ont souffert. Bon, plus sérieusement, je dirais qu’il ne faut pas incriminer un coéquipier mais dans les faits, c’est rare. Il faut envoyer les bons signaux. Après, si un mec dévie, le groupe doit justement servir à le ramener dans une perspective collective.
J.S. : Manquer de respect aux anciens. Personnellement, j’ai toujours fait attention à bien accueillir les jeunes du centre quand ils sont intégrés aux séances d’entraînement des pros, ils ont deux bras et deux jambes comme nous. Mais les cadres portent le poids collectif de l’équipe, ça va au-delà d’eux-mêmes. Ils ne peuvent pas se permettre le moindre écart par rapport à cette exemplarité-là. •
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