BERNAL - L’esprit libre
Egan Bernal lors de la présentation des équipes participant au Giro, le 7 mai.
Trois ans après sa chute qui avait failli lui coûter la vie, le Colombien veut faire table rase de ces années où il s’est battu pour se rapprocher de son niveau de vainqueur de grands Tours.
"Je ne prenais pas autant de plaisir sur le vélo
à l’époque où j’avais gagné le Tour.
Aujourd’hui, je me sens plus épanoui"
- EGAN BERNAL
12 May 2025 - L'Équipe
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PHILIPPE LE GARS
VLORË (ALB) – Egan Bernal a toujours cette même envie de parler, ce besoin de se livrer et surtout de se raconter. Quelques heures avant le départ du Giro, il s’était retrouvé entouré des autres prétendants à la victoire finale pour une conférencede presse dont il n’ avait plus vraiment l’habitude. On avait senti chez lui une certaine fierté d’être convié à cette table entre Primoz Roglic, Juan Ayuso et Richard Carapaz. Les places n’étaient pas attribuées, il s’était installé là, tout près du centre, presque par autorité naturelle. Le Colombien de 28 ans, malgré ses absences de la scène cycliste depuis si longtemps, est resté un patron dans l’âme, un « Jefe » tel qu’on le désigne toujours chez lui à Zipaquira, sur les hauteurs de Bogotá.
Pour la première fois peut-être, il n’a pas eu besoin de revenir sur son terrible accident de janvier 2022 quand, en rentrant chez lui d’une longue sortie d’entraînement, il avait percuté l’arrière d’un bus municipal alors qu’il était lancé à vive allure. Il avait raconté plus tard que « ça avait changé [sa] vie », que jamais il n’aurait «dû survivre à un tel choc ». Il y avait vu « un geste de Dieu, qui m’a donné une seconde chance ».
Admis à l’hôpital de La Sabana à Chia dans la grande périphérie de Bogota, là même où il avait fait ses études de communication avant de passer professionnel, on ne lui donnait que très peu de chances de s’en sortir, « le médecin avait été très pessimiste, se souvient l’ancien pro Ivan Casas proche de Bernal avec qui il avait partagé les bancs de l’université. Il avait 25 % de chances de ne pas rester paralysé, mais on était déjà heureux qu’il soit en vie. À son arrivée aux urgences, les médecins n’avaient même pas pris la peine de savoir si sa jambe bougeait, pour eux avec toutes ces fractures, il était condamné à rester paraplégique ». La liste de ses blessures fait encore froid dans le dos: une dizaine de côtes cassées,la rotule et le fémur touchés, un poumon perforé, le visage également abîmé sans oublier le pire, une luxo-fracture de la colonne vertébrale.
Sur ces premières étapes du Giro, Bernal a évidemment toujours en tête ces souvenirs douloureux, mais il veut s’en servir comme une source de réconfort, «carsije n’avais pas eu le vélo pour m’aider à sortir de ce cauchemar, je ne sais pas si je marcherai normalement sur mes deux jambes aujourd’hui ». Casas se souvient de leurs premières discussions à l’hôpital après ses nombreuses opérations, « il ne se posait pas la question de savoir s’il referait du vélo un jour mais quand est-ce qu’il recommencerait à en faire».
Il a repris sa place dans les pelotons depuis, acceptant de vivre dans l’anonymat, trop heureux de reprendre sa vie de coureur à défaut de retrouver son statut de champion. On l’a revu sur le Tour de France en 2023 et 2024, mais ce n’ était plus le même, cet ancien vainqueur à qui on prédisait un avenir glorieux quand il avait triomphé en 2019. « Mais il est plus fort dans la tête aujourd’hui, assure Casas. Après sa victoire sur le Tour, il avait appris à vivre avec une grosse pression sur les épaules, car tout un pays l’attendait. Avec son accident, il a vécu avec l’angoisse de la mort. Cette épreuve de la vie l’a grandi.»
Bernal ne peut évidemment pas affirmer que son accident lui a servi, il sait seulement que c’est une deuxième carrière qui a débuté par la suite. « Je ne prenais pas autant de plaisir sur le vélo à l’époque où j’avais gagné le Tour, confirme-t-il. Aujourd’hui, je me sens plus épanoui .» Il a ainsi moins de scrupules à retourner en Colombie s’entraîner, alors qu’il devait auparavant défendre sa place de leader chez Ineos, que se partageaient aussi Chris Froome et Geraint Thomas.
Le maillot de champion de Colombie sur le dos
Ses absences loin de l’Europe ne le laissaient pas spécialement tranquille, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. «L’équipe m’a permis de me préparer tranquillement chez moi, racontait-il avant le départ de ce Giro. Je suis rentré après le Tour de Catalogne, là où je vis à 2 600 mètres d’altitude, les conditions sont idéales. » Sa 7e place à l’arrivée à Barcelone fin mars l’avait rassuré, surtout après un nouveau coup d’arrêt un mois et demi plus tôt (fracture de la clavicule droite à la Clasica de Jaén).
Il était fier au départ d’Albanie d’afficher son maillot de champion de Colombie, conquis en février à Bucaramanga dans le nord-ouest du pays, avec un nouveau design « celui de l’équipe historique Café de Colombia, qui a été la première à remporter un Grand Tour (la Vuelta 1987 avec Luis Herrera). C’est ce qui m’a donné envie de devenir cycliste, et je veux essayer de faire la même chose avec la prochaine génération, lui donner envie de me copier. C’est une grande responsabilité ».
Évidemment que tout ça passe par ce Giro, qu’il a déjà remporté en 2021 et pour lequel il ose enfin annoncer la couleur. Il a passé sans encombres les trois premiers jours qu’il craignait et pointe à la 21e place du général à 51’’ de Roglic. On l’a même vu hier aux avant-postes dans le fil, preuve d’une confiance retrouvée. «Je me réveille tous les matins en me disant que si je pars m’entraîner, c’est pour réussir ce défi. Je ne sais toujours pas si je suis de nouveau capable de gagner un grand Tour un jour, mais je continue àycroireévidemment.»Hier matin au départ de la 3e étape, Bernal a retrouvé sa compagne derrière les barrières du parking des équipes, avant d’enfourcher son vélo pour reconquérir son destin.
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Egan Bernal (au centre) lors de la 3e étape du Giro, hier.
Pedersen pleine balle
Primoz Roglic va pouvoir traverser l’Adriatique ce matin (en avion) avec le sourire et sans pression. Il s’est vite débarrassé du maillot rose hier, qui ne tenait qu’à un fil (une seconde) le laissant volontiers à Mads Pedersen qui l’a récupéré assez facilement grâce à ses 10 secondes de bonifications. Même si, au pire, une 3e place lui suffisait pour repasser en tête du général, le Danois de Lidl-Trek a fini le travail de son équipe pour remporter sa deuxième étape en trois jours en clôture de ce triptyque albanais inédit pour le Giro. «On me dit que je suis dans la forme de ma vie mais, ce dont je suis sûr, c’est que j’ai réussi à garder une bonne condition physique depuis les classiques, a-t-il affirmé à l’arrivée où il venait de battre au sprint le Néo-Zélandais Corbin Strong (Israel-Premier Tech). Aujourd'hui, j’avais quelques doutes sur la difficulté de l’étape, mais nous avons réussi à courir comme nous le voulions. Mathias Vacek est vraiment extraordinaire, il a fait un super boulot, j’espère pouvoir l’aider à gagner une étape sur ce Giro. » Les coureurs arriveront dans la matinée à Bari (ITA) pour une première journée de repos avant la 4e étape mardi entre Alberobello et Lecce réservée normalement aux purs sprinteurs écartés du jeu hier en raison du parcours accidenté sur la côte albanaise.
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