PAULINE FERRAND-PRÉVÔT - UNE REINE
Elle avait donné rendez-vous au col de la Madeleine, elle a tenu promesse, écrasé ses concurrentes et s’est emparée hier du Maillot Jaune juste avant la dernière étape. Gagner le Tour, un an après les JO, est désormais un rêve à portée de main.
LA CHEVAUCHÉE FANTASTIQUE
Pour son premier Tour, Pauline FerrandPrévôt s’est imposée à la Madeleine dans un splendide numéro de soliste. Elle s’empare du Maillot Jaune dans un coup double historique, après un cheminement exceptionnel depuis son titre olympique.
"Elle n’est plus la même personne depuis
qu’elle est championne olympique, elle est apaisée"
- SYLVIANE DUBAU, SA MÈRE
"Ces deux derniers mois de préparation ont été bénéfiques,
et à 33 ans, j’ai aussi beaucoup d’expérience"
- PAU'LIN'E FERRAND-PRÉVÔT
3 Aug 2025 - L'Équipe
BENOÎT FURIC
TOUR DE FRANCE FEMMES AVEC ZWIFT 8E ÉTAPE
COL DE LA MADELEINE (SAVOIE) – L’épuisement des stocks guette. À force de victoires, les défis qui attendent encore Pauline Ferrand-Prévôt s’amenuisent considérablement. Par un chaud après-midi de juillet 2024, la Française avait gagné l’or olympique de VTT avec une maîtrise totale. L’aboutissement d’une longue quête. Un an et six jours plus tard, sur les pentes du col de la Madeleine dont le sommet était traversé d’un vent glacial, Ferrand-Prévôt a remporté l’étape-reine du Tour de France, endossé le Maillot Jaune et renvoyé à plus de 2’30’’ ou 3’et au rôle de faire-valoir – au moins le temps d’une journée – celles qui faisaient encore figure de prétendantes pour la victoire finale le matin même.
Un numéro de soliste exceptionnel sur les pentes du col de la Madeleine, et un exploit qui entre parmi les grandes légendes de la discipline, dont les fondements prennent racine un an auparavant. En signant chez VismaLease a bike pour trois ans et en l’officialisant dix jours après son or olympique, Ferrand-Prévôt annonçait alors vouloir gagner le Tour de France. Un considérable défi pour celle qui n’avait plus couru sur route depuis cinq saisons. « Je ne dis pas je vais gagner le Tour, mais on a la prétention d’y arriver, esquissait-elle à l’époque. Ce ne sera pas facile, loin de là, et ça prendra du temps. »
Mais l’espace-temps trouve des raccourcis dans l’univers de Ferrand-Prévôt. Àl’automne, la Française se plonge dans la quête du Maillot Jaune. « C’était risqué de se lancer dans un tel projet. Je sais ce qu’il me faut pour réussir. » Il est question de confiance, d’autonomie et surtout d’un apprentissage à refaire. Le cyclisme a changé, elle aussi. « Ce qui est marquant, c’est à quel point à partir de mi-octobre, elle s’est mise dedans, expliquait hier Yvan Clolus, le manager de l’équipe de France de VTT, resté un proche. Elle a été sérieuse au point que ça m’a presque fait peur qu’elle ne s’octroie pas beaucoup de repos après tout ce qu’avaient été les Jeux. Mais elle avait peur de manquer de temps : « J’ai plein de choses à faire avec l’équipe. Je ne peux pas en gaspiller après l’année olympique.»
La recette est connue, la discipline éprouvée depuis la préparation pour Paris. « Elle optimise tout. En coupant tous les loisirs, elle va optimiser sa récupération, sadi ététique–parce qu’elle n’est pas tentée –, ce qui fait qu’elle peut faire davantage d’ entraînements difficiles », expliquait, avant les Jeux, Cécile Ravanel, ancienne vététiste qui l’a, il y a trois ans, accompagnée un temps. C’est ce que confirme Clolus: cette année, après la campagne de classiques couronnée de son succès – historique, déjà – à Roubaix, FerrandPrévôt s’essouffle et renonce à terminer la Vuelta début mai. Un rendez-vous raté sur les sommets avec plusieurs adversaires (Demi Vollering, Marlen Reusser…) et des repères qui manquent sur les pentes montagneuses. « Pour grimper comme les meilleures, elle ne savait pas trop s’il y avait du boulot, détaille Clolus. Donc elle s’est isolée à nouveau : plus de déplacements, plus de courses. C’était: “Je m’entraîne, je dors, je mange.” Comme aux Jeux. » Sur ce chemin, un point pourtant diffère largement. « Elle n’est plus la même personne depuis qu’elle est championne olympique, elle est apaisée, témoigne Sylviane Dubau, sa mère. Le Tour de France, qu’elle le gagne ou qu’elle ne le gagne pas, ce n’est pas grave. C’est la première fois que je n’ai pas peur pour elle, que je n’ai pas peur de me dire: elle va être déçue, elle va être triste. » Entretemps, sa fille a remporté ParisRoubaix au printemps. «Elle a été impressionnée, après sa victoire, de la popularité que cela avait engendrée » , confie son père.
Une classique qu’elle avait ajoutée à son programme tardivement. Par goût du défi autant que pour des détails dont elle comptait tirer bénéfice trois mois et demi plus tard dans les premières étapes du Tour de France : « Cette période de classiques m’a beaucoup appris. Se battre pour être dans les premières positions, après tel virage ou avant tel mont, a été un travail de placement impossible à reproduire à l’entraînement. » Ferrand-Prévôt a montré beaucoup, douté parfois, et a de nouveau refermé portes et fenêtres de son existence, le 8 mai, en abandonnant le Tour d’Espagne, épuisée par sa première partie de saison. « Elle était à court d’énergie physique et mentale, mais elle a continué à donner le change » , expliquait alors Jos Van Emden, son directeur sportif. Et en Andorre, où elle est désormais résidente, elle a travaillé dans sa bulle: « Ces deux derniers mois de préparation ont été bénéfiques, et à 33 ans, j’ai aussi beaucoup d’expérience. Mon entourage et mon équipe respectent la personne que je suis. »
Pendant que ses adversaires se disputaient victoires et maillots en Espagne, en Suisse ou en Italie, la Française n’a pensé qu’à elle. « Je préfère m’entraîner dur que passer du temps dans les trajets pour aller sur des courses. » Des semaines passées le regard tendu vers ce col de la Madeleine, terrible juge dressé sur la route d’une possible victoire. Début juillet, son entraîneur est tombé malade, alors la championne a appelé ses parents pour qu’ils l’accompagnent reconnaître les trois dernières étapes du Tour. Ils se sont donc embarqués pour un road-trip dans le camping-car familial. « Trois jours passés dans des campings miteux, se souvient sa mère. Et elle était heureuse comme tout. » Durant ses six heures de reconnaissance quotidienne, son père la suivait en voiture. «Je lui passais les bidons, je lui parlais, je ne me suis pas ennuyé » s’amuse-t-il, pendant que sa mère préparait le dîner. Une vie simple, déliée de toute autre forme d’enjeu que de préparer au mieux l’objectif qu’elle s’était fixé.
Au terme d’une année pleine, elle est en passe de vider une fois de plus la boîte à défis, d’un seul coup. Il ne lui reste qu’une journée à passer, avec encore quelques chausse-trappes possibles, avant de réfléchir au prochain. « Et lundi, on retrouvera notre petite Pauline, comme elle est… » , conclut sa mère.
La joie de l’arrivée triomphante sous les hourras du public, puis l’émotion au moment
où Pauline Ferrand-Prévôt retrouve la directrice du Tour de France, Marion Rousse.
Les deux jeunes femmes se connaissent depuis l’adolescence et leurs débuts dans le cyclisme.
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Longo: «Il faut qu’elle en profite, ça reste gravé à vie»
3 Aug 2025 - L'Équipe
L. He.
Jeannie Longo (66 ans), jointe au téléphone, a tenu à féliciter PFP. « J’ai vu la course en partie, je l’ai surtout écoutée à la radio en voiture. J’avais dit dès la première étape qu’elle les assassinerait dans la Madeleine! Elle dégageait déjà une grande facilité en Bretagne. Mais ce que je craignais le plus, c’est qu’elle chute. Elle a fait tout ce qu’il fallait pour gagner, elle est restée discrète jusque-là, elle a su s’économiser… Pauline, quand elle a la volonté de faire quelque chose, elle le fait. On se rejoint là-dessus. Son succès fait parler du cyclisme féminin, c’est bien, c’est une figure inspirante ! Et ça me rappelle de bons souvenirs. Porter le maillot jaune… Il faut qu’elle en profite, ça reste gravé à vie.C’était presque gênant de n’entendre que mon nom crié partout au bord des routes. Et là, j’imagine qu’il ne va y avoir que des : “Allez Pauline!” »
Si elle n’a pas oublié les critiques de PFP à son égard, qui lui reprochait au début de sa carrière de ne pas faire un pas vers sa génération – « ses déclarations m’ont attristée » –, Longo ajoute cependant: «Elle était jeune à l’époque ( 22 ans). Je n’avais rien contre elle, au contraire j’aurais beaucoup aimé faire les Jeux de 2012 (à Londres) avec elle pour pouvoir la prendre sous mon aile. On ne s’est revues qu’une seule fois, je crois, par hasard en grimpant l’alpe d’Huez, il y a une dizaine d’années. On avait pris une photo ensemble.»
Elle sera au départ ce matin
En revanche, la triple vainqueure du Tour avoue avoir été «un peu déprimée en écoutant France Info où on disait qu’elle deviendrait peut-être la première vainqueure française du Tour depuis Bernard Hinault ( en 1985). Alors que je gagne encore en 1989 (après 1987 et 1988). J’ai l’impression d’être oubliée, voire qu’on nous marche dessus… » Et de rappeler qu’elle a aussi été «championne du monde sur route ( 1985, 1986, 1987, 1989, 1995).
Puis j’ai battu le record de l’heure et, on l’oublie souvent, j’ai été vicechampionne du monde de VTT ( en 1993)… »
Ce matin, invitée par le maire de Châtel, Jeannie Longo devrait être au départ de la dernière étape. «J’espère voir Pauline pour la féliciter. Malgré tout, même si je crois que ces filles, avec Audrey Cordon-Ragot,etc. ne m’ont pas forcément appréciée, je ne sais pas si j’ai été un modèle, mais j’espère leur avoir montré un chemin. »
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Katarzyna Niewiadoma (maillot blanc et rose), Demi Vollering et Ally Wollaston
n’ont rien pu faire hier, face à l’attaque de Pauline Ferrand-Prévôt.
Étouffées par la Madeleine
Malgré un plan parfait de son équipe, Demi Vollering (FDJ-Suez) s’est effondrée dans la dernière ascension, comme Katarzyna Niewiadoma. Quasiment résignées, les deux favorites initiales vont se disputer le podium, auquel voudra aussi s’accrocher Sarah Gig
3 Aug 2025 - L'Équipe
LUC HERINCX (avec B. F.)
Il a fallu s’acharner un peu pour envoyer Élise Chabbey et Évita Muzic dans l’échappée mais une fois bien enclenché, le plan de FDJ-Suez avait tout pour plier le Tour. La Suissesse s’en allait conforter son maillot à pois et la Jurassienne semer la pagaille en tant que menace au général. Puis, si tout allait bien, une fois les favorites épuisées à leur poursuite, Demi Vollering n’aurait plus qu’à attaquer et retrouver ses équipières en relais pour enfoncer le clou. « Je suis hyper fier de ce qu’elles ont mis en place, saluait d’ailleurs leur manager, Stephen Delcourt, après l’étape d’hier. Mais Pauline est sur une autre planète. »Katarzyna Niewiadoma (maillot blanc et rose), Demi Vollering et Ally Wollaston n’ont rien pu faire hier, face à l’attaque de Pauline Ferrand-Prévôt.
Un astre inatteignable, même avec deux satellites, mais le plus surprenant est d’avoir vu la leader néerlandaise craquer, comme la vainqueure du Tour 2024, Katarzyna Niewiadoma (Canyon// Sram zondacrypto), bien avant l’envol de la Française, sous le pétard de Sarah Gigante (AG Insurance-Soudal Team) à 11 km du sommet de la Madeleine.
« Normalement, j’aurais dû pouvoir répondre à cette attaque, je suis très déçue de moi, a reconnu Vollering. Je me sentais pourtant bien au début de l’étape, mais à ce moment-là, je n’avais pas assez de puissance dans les jambes. »
Une conséquence de sa chute, lundi, sur la 3e étape, voire de son calendrier chargé qui l’avait déjà amenée à se sentir « vidée » au Tour de Suisse ? « On prendra le temps d’analyser plus tard » , a balayé Delcourt. De son côté, Niewiadoma avançait déjà une explication : « C’était mon record de puissance sur quatre-ving-dix minutes, ça montre à quel point le peloton a progressé. Que puis-je faire de plus? »
Gigante ne s’imagine pas tout renverser
Malgré la désillusion, Vollering s’est accrochée dans le dernier kilomètre pour « voir ce qui [ lui] restait » et surtout terminer devant sa rivale polonaise, avec qui s’ouvre une étonnante bataille… pour le podium. « Peut-être que je peux y décrocher une place » , livrait Vollering (3e avec 22” d’avance sur Niewiadoma) comme un aveu de faiblesse, alors que son manager voulait encore croire en un renversement, aujourd’hui, dans Joux Plane (11,6 km à 8,5 %). « On va refaire un plan pour partir dans une bataille, promettait-il, en soulignant paradoxalement la domination de Ferrand-Prévôt. Il n’y a pas photo… La Madeleine a remis tout le monde à sa place. On peut être impressionnés de sa performance. » Le match pour accompagner la Française sur la boîte risque d’être d’autant plus difficile que Gigante a enfin pu révéler sa force en haute montagne après avoir subi beaucoup de pression dans les descentes, où l’Australienne admet avoir des progrès à faire. « J’essaie de ne pas regarder les commentaires des gens qui parlent, de me concentrer sur moi », a évacué la coureuse de 24 ans au micro d’Eurosport.
La plus résistante dans la roue de Ferrand-Prévôt ne s’imagine pas non plus renverser la course, déjà émue par sa deuxième place obtenue en partie grâce au travail remarquable de Kim Le Court. « Je me sentais fraîche au pied de la montée, et quand j’ai vu la Maillot Jaune se sacrifier pour moi, je me suis dit: oh mon Dieu, je ne peux pas me rater ! a raconté Gigante en pleurs. C’était son choix en plus, elle a dérogé au plan matinal pour m’aider. »
La seule parmi les trois à n’avoir jamais remporté le Tour ne prendra donc pas le risque de tout perdre pour tenter de le gagner. Au marquage de Vollering et de Niewiadoma, elle sera un sparadrap bien embêtant, même en cas de défaillance de la Maillot Jaune. Pour la Néerlandaise, vainqueure de la Vuelta, le Tour devrait s’échapper une fois de plus, malgré tous les efforts de sa nouvelle équipe française pour l’entourer du mieux possible. Delcourt rassure : « Le plan avec elle est sur le long terme.»
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