BOURGOIN - Disparition d’un atypique

Disparu à 85 ans, dimanche, alors qu’il revenait du match à Auxerre, l’industriel aura incarné avec Guy Roux et Jean-Claude Hamel les grandes années de l’AJA. 

Mais il aura, aussi, été un président de la Ligue qui n’aura ressemblé à aucun autre.

“Il fait partie de mes plus proches. 

De ces personnes sans lesquelles nous n'aurions rien fait, 

rien réussi de ce que nous avons fait. 

C'était un personnage, avec une personnalité forte. 

Il a fait un village, il a fait une usine, il a fait unclub

   - GUY ROUX

4 Mar 2025 - L'Équipe

VINCENT DULUC

Ils étaient une troïka, qui avait mené l’AJ Auxerre du football amateur jusqu’au doublé Coupe de-France-Championnat, en 1996, et à de grandes soirées européennes en Ligue des champions. Ils avaient écrit, ensemble, une histoire sans équivalent dans le sport français. Après la mort de Gérard Bourgoin, dimanche soir, décédé à l’âge de 85 ans dans sa voiture, sur la route de son domicile de Chailley (Yonne) alors qu’il revenait du match Auxerre-Strasbourg (0-1), et celle du président historique de l’AJA, Jean-Claude Hamel, en 2020, à l’âge de 90 ans, Guy Roux doit se sentir un peu seul, du haut de ses 86 ans qu’il continue de porter remarquablement bien.Gérard Bourgoin avec l’entraîneur de l’AJA Guy Roux en septembre 1990.

GérardBour go in avait prisl’ histoire en route, en 1978, alors que l’AJ Auxerre était en D2, et avait su trouver sa place. Ni entraîneur omniprésent et omnipotent comme Guy Roux, ni président rigoureux, économe et scrupuleux comme Jean-Claude Hamel: l’ancien apprenti boucher – qui avait commencé à faire fortune dans le pâté de lapin et avait développé un empire de la volaille – était un facilitateur qui avait le sens des raccourcis.

Son autobiographie, sortie en 1994, s’intitulait Itinéraire d’un homme pressé, et pour aller plus vite, il pilotait lui-même les avions de sa société, des Falcon 10 et un Falcon 20. Il était aux commandes, régulièrement, de l’un des deux avions qu’empruntait le club en déplacement, et dans lesquels Guy Roux répartissait équitablement les forces pour que l’AJA puisse continuer à vivre si l’un des deux engins s’était écrasé.

Élu président de la Ligue presque par hasard

Cela arrivait, c’était arrivé, et cela avait été le drame de la vie de Gérard Bourgoin, qui avait perdu son fils Patrick, l’héritier désigné de l’empire, dans un accident d’avion en 1991. Le groupe s’était appelé La Chaillotine, puis Duc de Bourgogne, puis Duc, il s’imprimait sur maillots de l’AJA, et Bourgoin avait fêté son premier milliard en 1986, dans une soirée au Paradis Latin.

Mais il avait cédé officiellement l’empire à sa fille Corinne, en 1994, et tout était fragile; une fuite en avant achevée par un dépôt de bilan en 2000 : le groupe qui avait valu 5 milliards de francs avait été vendu 150 millions de francs, avec de lourdes dettes, et l’ancien « roi du poulet » – un temps en couple avec Caroline, l’ancienne épouse d’Eddie Barclay – s’était retrouvé sans rien, ou presque. Il serait condamné, plus tard, à six mois de prison avec sursis pour abus de biens sociaux et abus de pouvoir.

À la chute de l’empire, il était devenu président de la Ligue nationale de football professionnel, l’ancêtre de la LFP, en juillet 2000, bénéficiaire d’une nuit des longs couteaux qui avait vu les présidents influents, le Lyonnais JeanMichel Aulas, le Monégasque Jean-Louis Campora et les autres, trahir Noël Le Graët pour tenter d’installer l’avocat lyonnais André Soulier. Mais ce dernier n’avait pas été élu parmi les indéles

À gauche, les trois amis Gérard Depardieu, Fidel Castro et Gérard Bourgoin à Cuba, en 1996. À droite, ce dernier, portant le président d’Auxerre Jean-Claude Hamel, après la victoire du club en finale de la Coupe de France 1994 (3-0 contre Montpellier). pendants, et Bourgoin en avait profité pour retrouver une raison sociale.

La légende prétendait que Jean-Michel Aulas lui avait fourni une carte bleue, ou que sa cagnotte personnelle était cachée au Canada, mais l’autre réalité était qu’il n’était peut-être pas fait pour le poste. Sa force avait été de ne pas être une marionnette pour les présidents qui l’avaient fait élire, mais sa faiblesse avait été de continuer à servir ses intérêts propres : son premier voyage de président de la Ligue avait été un séjour à Cuba, avec quelques dirigeants et leur famille, pour remettre des médailles de la Ligue aux athlètes cubains médaillés aux JO de Sydney en 2000, et il ne voyait même pas le mal.

Il était ami avec Fidel Castro, qu’il avait fait venir dans l’Yonne en mars 1995, et au sujet duquel il dirait ce que personne n’a jamais dit de l’ancien leader de la révolution: «Internationale ment, il est celui qui a le plus mis en valeur le chablis .» Il fournis sait des poulets à Cuba, exploit ait du pétrole, et la vie était bien faite. Il était ami, aussi, avec Gérard Depardieu, très présent la saison du doublé, en 1995-1996, et qui s’invitait, casque de moto sous le bras, dans quelques fins de réunions de la Ligue, où Bourgoin avait fait installer une cuisine dernier cri, et où les deux hommes se mettaient derrière les fourneaux.

« Des ouvriers du foot » qui se déplaçaient en jet

Les présidents de club qui l’avaient élu en 2000 l’avaient poussé dehors deux ans plus tard, en avril 2002, alors qu’il avait écarté les signes du putsch dans son langage habituel (« Je ne risquerien, ce sont de petitesb …»), et il s’était recentré sur quelques affaires renaissantes, notamment au Congo, dans le pétrole, et sur l’AJ Auxerre, dont il serait le président de la descente en L2, en 2012, après 31 saisons d’affilée dans l’élite.

Sans doute avait-il perdu la main, un peu, mais pas sa passion pour l’AJA, l’oeuvre collective de trois vies, et de quelques autres, qui lui ferait dire, quand ilsere tournait :« On était des ouvriers du foot, chacun dans son rôle. » Des ouvriers qui se déplaçaient en jet, mais chacun comprenait à la fois l’idée et la manière dont l’histoire avait été écrite. Gérard Bourgoin aura vécu une vie de passion, et sa disparition en revenant du stade, au fond, ressemble à une mort sur scène.

À sa famille, à ses proches et à l’AJ Auxerre, L’Équipe présente ses condoléances attristées.